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plus en plus il y a dans la voix et dans la diction, dans toute la manière enfin de Mlle Bréval, quelque chose qui se reploie ou se referme ; j’allais, mais je ne veux pas écrire : qui se renfrogne. Ainsi compris, tout le personnage d’Armide s’alourdit et s’empâte. Les différentes parties du rôle, les phrases diverses d’un air ou d’un récit, les notes mêmes d’une phrase, arrivent à se confondre. Les plans se touchent, les arêtes perdent leur vivacité, les formes leur relief ; les articulations musicales s’engorgent ou s’ankylosent ; tout ce que la musique de Gluck a de sculptural et de plastique s’amollit et disparaît.

Ce qu’elle a de vocal n’est pas mieux compris par les artistes de l’Opéra. Comme on chante mai aujourd’hui ! Nous ne parlons pas seulement de l’expression, mais de la technique même du chant. En écoutant Armide, il est permis de se demander si le solfège est encore enseigné dans les conservatoires. » « Ah ! si la liberté me doit être ravie ! » De ce peu de mots, sans chercher d’autres exemples, les quatre premiers sont notés de la façon la plus simple : à quatre temps, sur une blanche et des croches. Avant tout, avant toute recherche, avant toute nuance, tout effet sentimental ou passionnel, c’est donc une blanche et des croches que nous voudrions entendre. Un des principes les plus élémentaires du style en musique, en toute musique, est le respect des valeurs, autrement dit, de l’ordonnance ou de la hiérarchie des sons dans la durée. Il n’y en a pas un que la plupart des chanteurs, — et des instrumentistes, les pianistes surtout, — méconnaissent avec plus de constance.

On tient le même compte à l’Opéra des mouvemens que de la mesure. Oyez plutôt quelle traînante et lourde complainte la Naïade peut faire de sa légère et coulante chanson : « On s’étonnerait moins que la saison nouvelle. » Et je n’ignore pas que dans la musique de Gluck les mouvemens en général ne sont point indiqués. Mais ils ne le sont pas davantage dans la musique de Palestrina, de Bach ou de Rameau. Les connaître ou les sentir est affaire de tradition ou d’intuition. Il paraît que l’une se perd et que l’autre est rare à l’Académie nationale de musique.

La parole enfin n’y est pas mieux traitée que le mouvement et la mesure. Du rôle entier d’Armide nous n’avons peut-être pas saisi vingt mots. Or, vous le savez et l’on ne devrait pas avoir besoin de le rappeler, ou de l’apprendre, à des interprètes de Gluck, autant que la musique, sinon davantage, la parole est reine et maîtresse ici. Si Gluck, même le Gluck d’Armide, est un Ancien, et plus précisément un Grec, il l’est premièrement par ce qu’il y a de grandeur et de simplicité