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Masampo était là, à moins de 40 milles marins de Tsoushima, et c’était le point de stationnement favori de l’amiral Togo. Certes, dans de telles conditions on ne pouvait douter d’avoir bataille, mais que de chances contraires on mettait bénévolement contre soi ; que de chances favorables on donnait à un adversaire si avisé, si fort déjà, si bien préparé !

Que l’amiral Rodjestvensky, si habile lui-même jusque-là dans la conduite d’une campagne stratégique que nous nous promettons bien d’étudier comme elle le mérite un peu plus tard ; que l’amiral russe ait bien pesé tout cela, c’est ce dont on peut être assuré. On peut l’être aussi qu’il ne tenait pas absolument à une rencontre prématurée. Avait-il toutefois pleine confiance dans les facultés et les ressources de ce port de Vladivostock qui apparaissait à ses hommes, sinon à ses officiers, comme une sorte de terre promise ? Le deuxième bassin de radoub était-il terminé ? Et s’il ne l’était pas, comment nettoyer les carènes de tous ses vaisseaux avant la fin de la belle saison ? Et alors on serait bloqué, comme la flotte de Port-Arthur. Pourrait-on, du moins, sortir quand on le voudrait plus facilement que l’escadre de Makarof et de Withœft ? Mais il fallait pour cela que les abords de la nouvelle base maritime appartinssent sans conteste aux Russes. Avait-on fait là-bas tout le nécessaire pour que les îles qui couvrent l’entrée du « Bosphore oriental » fussent solidement tenues, pour que la défense fixe et la défense mobile — les mines, les torpilleurs, les sous-marins — y fussent sérieusement organisées ? Et, s’il n’en était pas ainsi, ne valait-il pas mieux combattre tout de suite, profiter de ce qui restait d’élan au personnel, de vitesse et de liberté de mouvemens aux vaisseaux ?…

Que d’incertitudes, que d’angoisses pour un commandant en chef ! On a cru cependant pouvoir affirmer et, répétons-le, c’est ce qui reste le plus probable, que le choix de la route par Tsoushima n’indiquait pas la volonté bien arrêtée de livrer bataille et que l’amiral Rodjestvensky comptait sur la brume[1]qui règne fréquemment dans les mers du Japon à cette époque de l’année pour passer inaperçu. On peut profiter d’une brume qui se lève pour effectuer une courte opération, pour sortir d’un port par exemple ; on ne peut compter sur la brume pour franchir,

  1. L’analyse du rapport du commandant en chef russe dont nous avons parlé plus haut confirmerait cette opinion. Sous toutes réserves, cependant.