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Philippeville, mieux encore, un des sentiers qui aboutissent à la Poudrerie, s’asseoir au bord du chemin, et, de là, contempler un des plus étonnans paysages qui soient au monde !

Qu’on s’imagine une forteresse naturelle, surgie comme sous la poussée d’un volcan, au milieu d’un cirque de pierre. La place est toute prête pour un camp retranché. Une ville militaire devait naître là. Constantine est le type de la citadelle numide, le modèle agrandi de tous ces bordjs, qui s’échelonnent sur les crêtes montagneuses du pays. Mais ce qui excite une réelle stupeur, c’est la forme presque géométrique de ces entassemens rocheux, dont le faîte monte si haut que, d’en bas, on distingue à peine les bâtimens et les travaux de défense qui les dominent. Cela tombe d’un jet perpendiculaire, plus aérien et plus vertigineux que la chute du Rummel qui, au pied de la Casbah, se précipite en cascade, à la sortie des gorges. Je ne connais pas de construction humaine, si colossale soit-elle, qui égale en hardiesse l’élancement du contrefort arrondi, dont est flanqué, à l’angle oriental, ce bastion formidable. Il est trop énorme pour évoquer l’idée d’une tour. Devant ce mur inaccessible, on songe moins à une œuvre de maçonnerie qu’à une trombe de lave jaillie d’un cratère et qui va tout submerger ; autour d’elle, sous le débordement de ses flots pétrifiés. Nulle part, peut-être, on ne sent mieux la brutalité terrible de la matière, soulevée par les forces cosmiques. Ce rocher de la Casbah paraît plus écrasant encore quand on l’aperçoit, reflété de la base au sommet, dans les eaux du torrent. On le voit terminé par une légère balustrade et par la flèche d’un cyprès dont la pointe renversée s’enfonce dans un ciel chimérique. Instinctivement, on s’écarte de ce miroir liquide qui semble béant comme un gouffre, et on ferme les yeux, pour ne pas choir dans le vide.

Ce pylône basaltique, véritable colonne d’Hercule, se dresse à l’entrée des gorges du Rummel, en face d’un autre massif rocheux, aux assises tellement symétriques, aux lignes si régulières qu’elles composent un prodigieux piédestal, dont on : cherche la statue absente. Ces deux escarpemens, ce sont comme les linteaux d’une porte géante, par où l’on pénètre dans les gorges de la rivière torrentueuse, que surplombe toute une succession de voûtes creusées en coupoles, d’arches bizarres jetées d’une berge à l’autre, à la manière de ponts suspendus. Un demi-jour livide éclaire faiblement les hautes parois, qui ont