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l’essor et en accroîtront l’intensité. Lisons ce qu’écrivait, il y a quelque temps, le journal socialiste[1] à propos d’une exécution :

« Le véritable, le seul remède, il est dans les soins moraux donnés à l’individu sain pour le préserver de la folie du meurtre, dans les soins moraux et physiques donnés au criminel pour le guérir ; mais tant que la société punira le crime par le crime, elle entretiendra le terrible mal. »

Qu’on ne se laisse pas prendre cependant à ces accès périodiques de sensibilité qui rappellent ceux des terroristes. Tout homme qui écrit sur la paix universelle et perpétuelle exige au préalable cinq ou six guerres pour humaniser les États récalcitrans. A l’intérieur, l’amour qu’on porte à la fraternité se mesure à l’ardeur intransigeante avec laquelle on proclame la nécessité de la guerre des classes, de l’expropriation violente, de la descente dans la rue… Plus on se dit enthousiaste de la tolérance, plus on tient à honnir, à frapper, à dépouiller, à expulser quiconque s’avise de présenter quelques réserves sur les limites de la tolérance. Ainsi les ennemis de la répression réclament bien la seule assistance pour ceux qui acceptent la « solidarité » de leur classe ou de leur groupe ; mais ils n’ont garde de briser les armes variées dont ils se plaignent d’avoir été blessés. Ils s’en emparent et les perfectionnent pour en user à leur tour contre ceux qui ne sont pas de leur parti.

Sous la Commune, un fonctionnaire improvisé ou délégué faisait comparaître devant lui un propriétaire qui avait commis le crime d’exiger le terme dû par un locataire peu fortuné : il envoyait tout simplement le propriétaire en prison. Quand les gendarmes de Chalon ou autres lieux se défendent contre des grévistes armés, le même journal socialiste que je citais tout à l’heure réclame la comparution des gendarmes devant un conseil de guerre : il l’obtient ; et si les gendarmes sont acquittés, il dénonce les juges. Regardons d’ailleurs ce qui se passe depuis un an. « Enfin, s’écrie un sénateur, — dont il est question, non plus seulement pour renverser des ministères, mais pour en constituer un, — enfin nous allons faire la charité !… (avec l’argent des autres). » C’est ainsi qu’il salue le vote de certaines lois d’assistance dont l’économie est si discutable. Mais en même temps lui et les siens, — les siens encore plus que lui, pour être

  1. Celui qui à l’heure actuelle mène tout, conduit tout, maintient la discipline, menace les tièdes, exécute les dissidens, etc., etc.