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jamais été pratiquée dans toute sa rigueur ni qu’elle ait sévi sur toute l’étendue d’une législation : mais il y a eu des époques où l’on y tendait un peu plus qu’on ne s’en éloignait. Il paraît difficile de nier que sous la monarchie de Juillet, par exemple, on ait souvent interprété et appliqué dans ce sens, bien étroit, l’individualisme imposé à notre pays par la Révolution. Tel a été aussi, dans une assez longue période, l’esprit de la législation et des mœurs anglaises. Mais nous ne faisons ici le procès qu’au système. Or, indubitablement ce système est inique, il est contraire aux véritables intérêts sociaux, et il ne peut pas se soutenir longtemps sans souffrances intolérables et sans désordre.

Sous quelque régime que ce soit, il y a une tendance malheureuse à faire de la loi l’expression des volontés d’une caste ou d’une classe. Les conditions de l’exercice de tel ou tel droit sont alors fixées de telle sorte que cette classe privilégiée en profite largement, mais que d’autres ne peuvent pas se procurer la jouissance des mêmes droits et sont systématiquement sacrifiés. Il y a ainsi des milliers de citoyens placés dans cette alternative, ou de renoncer à la satisfaction de besoins supérieurs, de devoirs même s’imposant à leur conscience, ou de s’exposer aux rigueurs du code. Tout cela est contraire à la notion du lien social et à une intelligence exacte de la loi.

Ainsi, on est d’accord pour penser que la mendicité ne peut être interdite là où des secours ne sont pas offerts à ceux qui sont dans l’impossibilité, au moins actuelle, de s’en passer. Ne devrait-on pas être également d’accord que la gratuité de l’enseignement primaire ne doit pas constituer un privilège pour ceux-là seuls qui renoncent à faire donner à leurs enfans une éducation religieuse[1] ? L’Angleterre a tout récemment effacé de ses lois cette inégalité, en décidant que les écoles confessionnelles réunissant au moins dix élèves recevraient proportionnellement lis mêmes subsides que les écoles neutres.

C’est un principe excellent, que tout citoyen doit faire reconnaître et consacrer ses droits par les mêmes formalités judiciaires ; mais si les frais de justice sont tellement élevés que le riche seul puisse entamer une procédure, alors les citoyens ne sont plus égaux devant la loi. C’est encore un principe inattaquable que tout mariage, pour produire légalement ses effets

  1. Voyez l’article de M. J. Bourdeau dans la Revue du 13 mars 1903.