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dans leurs élémens ni dans leurs origines. On peut discuter pour savoir si la sociologie est, comme le prétendait Gabriel Tarde, une « interpsychologie, » mais la morale sociale, à coup sûr, est bien une interpsychologie en action, et la morale privée est une psychologie en action, sans compter tous les autres élémens, — logiques, esthétiques, métaphysiques, — qui viennent s’ajouter à la psychologie.

Les positivistes considèrent comme un « anthropocentrisme » spirituel la croyance que la raison humaine est « le centre du monde, » que l’homme est le « centre moral de l’univers. » L’expression de cet anthropocentrisme est, selon eux, « la prétendue morale naturelle, » ou, mieux encore, la prétendue morale rationnelle, au sens large du mot, c’est-à-dire la morale fondée sur la nature foncière de l’intelligence. Ces accusations, au premier abord, peuvent offrir un caractère spécieux ; à la réflexion, elles apparaissent comme superficielles. Le véritable anthropocentrisme était d’ordre scientifique, ou, si vous voulez, antiscientifique, en ce sens qu’il imposait à la science de ce qui est, à l’expérience de la nature telle qu’elle est donnée dans le temps et l’espace, des fins tout humaines, une centralisation autour de l’homme et de son séjour. Mais, quand il s’agit de la pratique, nous sommes obligés de considérer non plus seulement ce qui est donné dans l’espace et le temps, mais ce que nous pouvons donner par notre volonté intelligente, ce qu’il est désirable ou nécessaire de donner, de quelque nature qu’on se représente cette nécessité. Bref, nous sommes bien obligés de nous proposer un but et de prendre pour but ce qui nous paraît le plus ultime, autant du moins que nous, hommes, nous en pouvons juger. Par là, ce n’est pas un centre humain que nous posons, mais une fin, et nous essayons de la poser comme n’étant pas seulement animale et humaine. Nous essayons donc de dépasser le point de vue étroit de l’humanité proprement dite, ou, tout au moins, d’y trouver un point de coïncidence avec tous et avec tout ; c’est cette déshumanisation, c’est cette décentralisation, c’est cette universalisation, que l’on traite de centralisation autour de l’homme ou d’anthropocentrisme ! La logique, dont nous parlions tout à l’heure, est-elle aussi un anthropocentrisme ? Sans doute elle contient elle-même des élémens humains et subjectifs ; mais, étant donnée notre intelligence, la logique n’en est pas moins l’effort le plus grand que nous puissions faire