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pour régler notre pensée sur des lois qui soient celles de tous les sujets pensans et de tous les objets pensables. Nous demander davantage, c’est nous demander de sauter par-dessus notre tête. S’il y a des réalités illogiques ou antilogiques, qu’on nous en donne la preuve : ce n’est pas aux logiciens qu’incombe cette preuve. De même, en morale, nous essayons de nous placer au point de vue le plus universel possible, qui est celui qu’on est convenu d’appeler rationnel ; nous ne faisons nullement pour cela de la « raison humaine » le centre du monde : nous en faisons notre centre à nous et nous cherchons à nous identifier, selon nos forces, avec le grand Tout. Les adversaires de ce point de vue désintéressé et universel sont les vrais anthropocentristes ; seulement, ils prennent pour centre, eux, le matériel de l’homme, au lieu du mental, ainsi que les sociétés humaines matériellement considérées. Ils veulent que nous nous arrêtions au point de vue social comme ultime et ils le prétendent seul objectif ; c’est là, pour faire un barbarisme nouveau, du « sociocentrisme » et, conséquemment, un véritable anthropocentrisme.

Les objections des positivistes à la morale comme « science de ce qui doit être, » comme « science de l’idéal individuel et collectif, » n’ont donc pas de portée décisive et constituent elles-mêmes une vaste pétition de principe en faveur de la non-existence d’une morale

L’entière substitution de la science des mœurs à la morale implique théoriquement et ne peut pas ne pas produire pratiquement le scepticisme moral. On répond : Rien ne ressemble moins au scepticisme que de croire à la possibilité de modifier scientifiquement les effets par les causes. Mais cette réponse déplace la question. Sans doute, rien ne ressemble moins au scepticisme sociologique ; il n’en est pas moins vrai que la négation de toute moralité intrinsèque et rationnelle au profit des mœurs réelles constitue un scepticisme moral, en même temps qu’un dogmatisme sociologique qui, nous l’avons vu, est outré et intempérant.

— Les philosophes, réplique-t-on encore, ne fondent pas la morale, et les savans ne peuvent pas non plus la détruire. « Ce