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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/609

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amphithéâtre, et ne sera satisfait que lorsqu’il me verra composer dans le genre de Michalon[1] ! (Textuel). Pourquoi Michalon plutôt qu’un autre ? Aubert m’écrivait que son père lui disait aussi : « Mais pourquoi ne composes-tu pas dans le genre du Consulat et de l’Empire, ou des Mystères de Paris ? » L’un vaut l’autre. Ces naïvetés exorbitantes me confondent, et je me tais, ce qui pour mon père est m’avouer coupable. Il se montre d’une exigence extrême pour le choix de mes sujets, ce qui ne l’empêche pas pour son compte de trouver partout matière à tableau, et d’en méditer en ce moment un superbe à son goût, qui sera la vue, prise à vol d’oiseau, du jardin potager et des bâtimens de Lafont (historique aussi).

Pour mes dessins, ils ne l’ont que médiocrement frappé. Il les a tout au plus feuilletés, comme on parcourt un carton où l’on cherche vainement ce qui n’y est pas. Qu’y cherchait-il ? Peut-être un dessin dans le genre de Michalon. — « Ruysdaël ! Ruysdaël ! » marmottait-il toujours en soulevant chaque feuille avec dépit. Vous savez si tout cela ressemble à Ruysdaël ; je n’avais pas à le contredire. Puis, pour conclure, il me dit : « Ma foi, je te montrerai quand tu voudras de vieilles gravures qui ressemblent à cela. » Je ne compris point la remarque ; à coup sûr, ce n’était pas un éloge. D’ailleurs, fusain, crayon noir, ou mine, tout cela lui semble aussi insignifiant ; mon père est de ces gens qui, ayant peu vu, ne s’étonnent de rien. Il trouverait également naturelle la manière de dessiner de Decamps et de peindre de Diaz. Grâce à trois mots magiques tels que : pierre-ponce, rasoirs et gouache, les procédés les plus compliqués n’auront plus rien qui le surprenne. Je lui faisais remarquer un de mes dessins qui certes n’est pas précisément très simple d’exécution et je lui disais : « Tu vois, c’est du fusain. — Oui, oui, je vois bien, c’est du fusain. » Et cette explication lui parut suffisante et le satisfit. De tout ainsi. J’insiste là-dessus, mon ami, pour que vous compreniez qu’il n’y a rien à tirer de mon père, ni par les raisonnemens, ni par les preuves ; également incapable de comprendre la passion naissante qui m’entraîne et les promesses de talent qu’il peut y avoir dans mes essais, il ne me donnera jamais d’adhésion formelle, et ne cédera,

  1. Né en 1796, mort en 1822, Michalon, élève de David et de Bertin, eut à quinze ans un second prix de paysage, à dix-huit ans le premier prix. Sa remarquable précocité, sa mort prématurée lui valurent une célébrité posthume.