Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

multipliaient les manuels du petit citoyen, les livres du petit Français, les cours d’enseignement civique. Quelques-uns d’entre eux, signés de Paul Bert, de Jules Steeg, de M. Gabriel Compayré, furent l’objet des sévérités de l’Eglise ; et la République affirma sa « laïcité » en les propageant dans les écoles. D’autres, moins agressifs, et moins exposés, dès lors, aux censures spirituelles, circulèrent indemnes. Si varié qu’en fût l’esprit, et quelles que fussent leurs divergences d’attitude à l’endroit des idées confessionnelles, une analogie profonde rapprochait entre eux tous ces petits livres : ils étaient tous, sans nulle exception, de fervens bréviaires de patriotisme. On y proposait la France au culte, au dévouement, presque à la prière. Sentant que la foi en la patrie, comme toutes les autres, avait eu des adversaires, et qu’avec le temps elle en retrouverait, M. Gabriel Compayré allait jusqu’à joindre à son catéchisme un essai d’apologétique ; un de ses chapitres s’intitulait expressément : Réfutation du cosmopolitisme. Le cosmopolitisme, c’était la vieille hérésie, celle de 1865 et des années suivantes : lisez plutôt, à cet égard, le troisième volume des Souvenirs que vient de publier Mme Juliette Adam, et dans lequel elle fait effort pour nous dessiner, autant que des nuages se prêtent à la fixité du dessin, les conceptions utopiques de cette antique génération. « Sophismes ! sophismes ! » articulait vaillamment M. Gabriel Compayré ; et contre ces sophismes il insurgeait, tour à tour, le cœur et la réflexion de l’enfant. Son réquisitoire, terriblement net, aboutissait à cette conclusion : « Le cosmopolitisme a ce premier défaut qu’il ne nous impose aucun devoir positif, puisqu’il s’agit d’hommes qui sont loin de nous et pour lesquels nous ne pouvons rien ; il a encore ce défaut plus grave, qu’il nous dégage de toute obligation envers la patrie. » On ne saurait mieux dire, aujourd’hui même. M. Emile Boutroux, un an durant, empila sur sa table ces innombrables manuels civiques que les programmes faisaient subitement éclore ; puis, dans la Revue pédagogique, il s’efforça de porter un jugement d’ensemble sur cette juvénile floraison. « Il y a, concluait-il, un trait fort important, qui partout se retrouve, plus ou moins directement marqué : c’est la condamnation du cosmopolitisme et de la fraternité des peuples. Cette doctrine dissolvante, où plusieurs esprits généreux inclinaient avant la guerre, est aujourd’hui repoussée de tous. »

A l’avenant des livres de classe, les livres de prix offraient