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jeunesse. Les jeunes gens, au contraire, manifestèrent un étonnement significatif. Lorsqu’on leur dit que la guerre pouvait sortir de ces complications diplomatiques, éclater en quelques heures, avec son cortège de devoirs et de calamités, on les vit incrédules d’abord, puis surpris : autant que si le journal leur eût affirmé la réapparition de plésiosaures et de ptérodactyles sur les lacs du Bois de Boulogne. On put mesurer le terrain gagné par l’idéologie fallacieuse qui leur représente la guerre comme un phénomène préhistorique, incompatible avec nos mœurs éclairées et adoucies. Etonnement passager, d’ailleurs : l’afflux du vieux sang gaulois fut rapide ; après quelques jours de dépression, l’opinion témoigna par toutes ses voix qu’elle envisageait les plus graves éventualités avec calme et résolution.

À cet égard, l’alerte aura été salutaire. En avait-on exagéré le péril ? L’émoi public était-il justifié ? C’est là un de ces problèmes qui ne seront élucidés que plus tard, très tard. Aujourd’hui encore, le dernier mot n’est pas dit sur la crise semblable de 1875 : ceux qui étaient alors au centre des affaires européennes, en situation de bien voir et de tout voir sans intérêt personnel, ceux-là savent comment il faudra réviser des légendes universellement acceptées. En sera-t-il de même pour la crise de 1905 ? De cette dernière, j’ignore tout, sauf les façades trompeuses que nous montrent les journaux et les indiscrétions calculées des hommes d’Etat. Il semble à cette heure que des négociations laborieuses aient clos l’incident. Si cela est, tant mieux. Nous n’en sommes que plus à l’aise pour parler de l’Allemagne avec une tranquille liberté.

Au moment où l’éventualité d’un nouveau conflit occupait à tort ou à raison les esprits, le désir me vint de revoir le pays qui rappelait notre attention sur ses casques multipliés. Depuis plus de vingt ans, j’avais perdu le contact direct avec l’Allemagne, Comme tout le monde, j’entendais vanter sa richesse, son développement prodigieux. Les livres des voyageurs en témoignaient ; pourtant, des divergences d’opinion se produisaient dans leurs jugemens. Je voulus former le mien sur place. Je viens de parcourir durant cinq semaines l’Allemagne du Nord, « la Prusse, » comme l’on disait d’ordinaire dans mon jeune temps, pour désigner toutes les provinces récemment rattachées à ce dur noyau. Je l’avais connue déjà unifiée, enivrée et comme abasourdie de ses victoires récentes, mais encore pauvre,