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poèmes célèbres n’appartiennent à Chénier. S’il semble, dans les vers cités plus loin, l’avoir indiqué et même suggéré, il ne l’a nulle part expressément noté, et j’ai déjà fait remarquer qu’il avait intitulé Hymne le premier de ses ïambes. C’est à Latouche que revient l’honneur d’avoir imposé à ces derniers cris d’une éloquence désespérée et furieuse, qui ont peut-être plus fait pour la gloire d’André Chénier que ses purs chefs-d’œuvre, ce titre fameux, devenu classique. On dirait que le poète lui-même le lui a désigné dans ce vers :


Archiloque, aux fureurs du belliqueux ïambe…


ou plutôt dans cette apostrophe, dont le premier alexandrin est l’un des plus singulièrement beaux que je sache :


Diamant ceint d’azur, Paros, œil de la Grèce,
De l’onde Egée astre éclatant !
Dans tes flancs où nature est sans cesse à l’ouvrage,
Pour le ciseau laborieux
Germe et blanchit le marbre illustré de l’image
Et des grands hommes et des Dieux.
Mais pour graver aussi la honte ineffaçable,
Paros de l’ïambe acéré
Aiguisa le burin brûlant, impérissable.
Fils d’Archiloque, fier André,
Ne détends point ton arc………


L’ïambe, comme on le voit, n’est que la strophe classique de deux alexandrins et de deux octosyllabes régulièrement entrelacés et à rimes croisées, prolongée au gré du poète par la suppression de l’arrêt au quatrième vers.

Je n’oserais affirmer qu’il n’y ait point de ce rythme d’exemples plus anciens que celui que j’ai découvert dans les Œuvres choisies de M. Rousseau, au IIIe livre de ses odes. C’est l’ode IV, imitée d’Horace, Aux Suisses durant leur guerre civile de 1712. Or, ainsi que nous l’avons noté, le premier des ïambes de Chénier est l’Hymne sur l’entrée triomphale des Suisses révoltés du régiment de Châteauvieux, qu’il publia dans le Journal de Paris du 15 avril 1792. La coïncidence est frappante. Elle serait extraordinaire, si elle n’était toute naturelle. André Chénier, comme beaucoup de ses contemporains, avait lu et étudié Jean-Baptiste Rousseau, poète médiocre, qui fut un habile ouvrier lyrique.