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nous ne connaissons pas notre littérature du XVIIe siècle. Elle est plus riche, infiniment ; et combien plus diverse qu’on ne l’enseigne ! Dans une Histoire de la Littérature française classique que j’ai entrepris d’écrire, — et peut-être, même en la réduisant, comme j’ai fait, aux trois siècles classiques, est-ce un dessein qui passe aujourd’hui les forces d’un seul homme, — je n’aurai besoin que d’un volume pour la période qui s’étend de 1515 à 1595, et d’un volume pour celle qui va de 1720 à 1830 ; mais il m’en faudra trois de 1595 à 1720 ; et les proportions ne seront que tout juste observées. Ce sont les grammairiens du XVIIe siècle qui les ont renversées. Et c’est pourquoi, vers la fin du siècle, rien n’est plus amusant que de les entendre se plaindre du tort qu’ils se sont fait. « Où en serions-nous, s’écrie Marmontel, si l’écrivain même le plus élégant ne devait rien dire comme le peuple ; » et encore : « Par quelle vanité voulons-nous que dans notre langue, tout ce qui est à l’usage du peuple contracte un caractère de bassesse ou de vileté ? » Tu l’as voulu, George Dandin ! Ils étaient nombreux, au XVIIe siècle, ceux que n’effarouchaient pas les mots ou les termes de l’usage populaire. Mais cet usage, vous avez décidé qu’il fallait lui enlever tout ce que l’on pourrait lui enlever, et, de tant de monumens de la littérature et de la langue, ayant résolu de ne retenir que neuf tragédies, quatre Oraisons funèbres, et un poème didactique, c’est vous, c’est bien vous, grammairiens et philosophes de l’Encyclopédie, qui avez établi la loi contre laquelle vous feignez de vous révolter.

C’est la seconde étape de la « transformation de la langue. » Il y a désormais des auteurs, pour ainsi parler, « canoniques » et en dehors desquels il peut bien y avoir de spirituels ou d’éloquens écrivains, mais point de « maîtres, » ni donc de vrais classiques. Remarquez que la théorie n’a rien d’insoutenable en soi, et sans doute c’est ce qui explique la contradiction. En fait, et dans l’histoire des littératures anciennes, par exemple, grecque ou latine, il y a des auteurs qui ont « mieux écrit » que d’autres, plus correctement, plus purement, avec un sens plus « national » du génie de la langue : il se peut donc aussi qu’il y en ait, et il doit même y en avoir en français. L’erreur des grammairiens du XVIIIe siècle n’est que de les avoir cherchés, et de ne les avoir reconnus que dans un ou deux genres. Racine écrit-il « mieux » que Molière ? C’est une question qu’à peine pouvons-nous nous