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poser, puisque Racine a fait des « tragédies, » et Molière des « comédies. » Ils écrivent tous les deux dans des genres différens, et ce serait s’ils écrivaient de la « même manière, » que l’un des deux écrirait mal. La langue de Racine est noble, parce qu’il traite de sentimens « nobles » ou réputés tels, et la langue de Molière est familière, parce que les sujets qu’il traite sont « familiers. » Si donc nous demandons à quelqu’un des « règles de la langue, » les demanderons-nous à Bossuet, ou à Mme de Sévigné ? Il faudra voir ! Nous les demanderons à Mme de Sévigné, s’il s’agit décrire une « lettre familière ; » mais nous ne les demanderons à Bossuet que s’il s’agit : 1°, de prononcer une Oraison funèbre ; 2°, si cette Oraison funèbre est celle d’une « personne souveraine » ou au moins d’ « un grand de ce monde ; » et 3°, si nous sommes prêtre. Ces observations paraîtront au lecteur, et à bon droit, la banalité morne et la naïveté. Car tout cela est évident, d’une évidence qui éclate aux yeux des moins avertis ! Ni le style ni la langue de la tragédie ne sont ceux de la comédie, et on n’apprend pas à « conter » dans l’Oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre ! Mais il faut pourtant que cela ne soit pas si clair, puisque les grammairiens du XVIIIe siècle ont cru et enseigné le contraire. Avec leur dédain de « la langue parlée » et leur superstition pour deux ou trois modèles, ils ont établi les règles de la grammaire au-dessus des exigences des genres, du génie des écrivains, et des conseils du plus simple bon sens.

Il n’y avait plus qu’à justifier le choix de ces modèles ; car, au fait, pourquoi Racine et Bossuet plutôt que d’autres, dont la réputation, comme celle de Fénelon ou de Corneille, avait au moins égalé la leur ? C’était la question qu’il était difficile que l’on ne posât pas aux grammairiens, et qu’ils se posaient à eux-mêmes. Ils ne pouvaient plus alléguer la conformité avec l’usage, puisqu’il s’agissait, au moyen du choix des modèles, de la restreindre, ou même de l’abolir ; ni la ressemblance de l’œuvre écrite avec « la langue parlée, » puisque cette ressemblance était l’unique ou le principal défaut des modèles. Ils ne pouvaient pas davantage invoquer la tradition, puisqu’il s’agissait précisément de l’établir ! Et, s’ils s’avisaient enfin d’en appeler aux grammairiens leurs prédécesseurs, cela était trop ridicule de vouloir déterminer la « canonicité » des classiques, à l’aide et par le moyen d’ « une sorte d’extrait des Remarques de Vaugelas, de