entrefaites. « Comme, le voilà fait, ce pauvre enfant ! » Tendrement, elle lui remet les cheveux en ordre, le brosse, le câline, et Morell est obligé de se taire.
Voilà, assurément, un premier acte qui s’offre bien. Quel drame va sortir de là ? Dans la vie réelle, Morell, aussitôt seul avec sa femme, lui dirait : « Ce petit drôle se permet de lever les yeux sur vous. Nous allons le mettre à la porte sans faire d’esclandre. » Mrs Morell approuverait, si elle est honnête. Si elle ne l’est pas, elle approuverait tout de même, mais elle correspondrait avec Marchbanks par la poste restante, aux lettres X. Y. Z. Elle lui donnerait des rendez-vous, d’abord à la National Gallery, puis dans des tea rooms du West End, puis dans quelque hôtel de Kew ou de Richmond. Mais la Candida de M. Shaw prend les devans et dit à son mari : « Ce pauvre Eugène est amoureux de moi sans s’en douter. Si je le chasse, il ira demander des leçons d’amour à une mauvaise femme, car il a besoin d’être aimé. Toute sa vie s’en ressentira et il ne pourra me pardonner le mal que je lui aurai fait. » Morell est touché de ce beau raisonnement. Il s’éloigne et éloigne tout le monde pour ménager un tête-à-tête décisif au petit Marchbanks avec celle qu’il aime. À son retour, il manifeste une anxiété qui, au théâtre des Nouveautés, aurait un grand succès. « Eh bien ! que s’est-il passé ? » Il ne s’est rien passé. On a lu des vers et on a bâillé. Candida s’en tire en donnant un baiser d’amante à son mari et en déposant un baiser maternel sur le front du petit polisson. Voilà qui va bien pour ce soir. Mais demain et après-demain ?
John Bull’s other Island paraît avoir vaincu les résistances du public et décidé du succès de M. Bernard Shaw. La raison en est facile à trouver. Pourtant, ce n’est pas une pièce bien faite, ou plutôt, ce n’est pas une pièce, d’après le sens qu’on attache d’ordinaire à ce mot. Elle a tous les défauts des œuvres précédentes, mais elle les affiche si franchement qu’il est impossible de ne pas se rendre compte qu’on se trouve en présence d’un nouveau système dramatique qui subordonne le développement de l’action sentimentale à la peinture des caractères et à la discussion des idées.
Or, à ces deux derniers points de vue, John Bull’s other Island a été très justement admiré. En l’écoutant, on éprouve ce plaisir intellectuel qui nous est si rarement donné par les écrivains