mais, ne dût-on pas faire ces emplettes, il faut aller visiter le « père des fauves, » comme on l’appelle, et son pensionnat. C’est une des plus intéressantes curiosités de Hambourg, elle complète le caractère exotique et mondial de ce marché universel. M. Hagenbeck, a monopolisé le commerce des bêtes féroces et de tous les animaux exceptionnels. Directeurs de jardins zoologiques, propriétaires de ménageries, dompteurs des deux hémisphères viennent se fournir chez lui. Une meute de chasseurs et de trappeurs quête dans tous les fourrés du globe, des fleuves de Sibérie aux forêts équatoriales, pour rapporter au patron les plus rares spécimens de la création. Sa propriété est située à quelques kilomètres de la ville. On approche, et l’on voit paître dans les prairies avoisinantes des troupeaux de chameaux, de yacks, de zébus. On entre, et l’on trouve le nouveau Robinson faisant société avec ses élèves. Il lutine ses éléphans, il flatte ses lions, s’amuse à les croiser avec des tigresses, à faire nourrir par l’une d’elles le tigre et le petit chien qui folâtrent fraternellement dans la même cage. Il déroule paternellement les interminables anneaux des pythons de Bornéo, hideux dans leur splendide cuirasse d’azur, lovés sur un tronc d’arbre dont ils égalent le diamètre. Il a quelques déboires : avant-hier, ses quatre girafes se sont cassé le col ; « l’animal le plus cher, observe-t-il, et le plus gauche, qui ne sait plus vivre dans notre monde. » Le rêve du vieil homme est de refaire le Paradis terrestre, un jardin où les lions et les panthères de Java fusionneront avec les antilopes et les gazelles. Des ouvriers sont en train d’aménager les collines artificielles et les fossés de ce jardin ; des fossés larges de sept mètres, l’espace infranchissable pour le bond d’un grand félin : hélas ! le monde n’est point parfait, les fauves non plus, et l’on ne pourra offrir aux visiteurs du Paradis terrestre, tenus à distance, qu’un trompe-l’œil de fraternité.
J’ai vu là des exemplaires singuliers de toutes les faunes. Mais on les oublie quand M. Hagenbeck vous conduit au cabinet vitré des deux gorilles du Gabon : sujets uniques en Europe, et que l’Amérique lui envie. Ils furent allaités par une nourrice de Hambourg, — « Une négresse ? demandai-je. — Non, fit avec dédain leur éducateur, — une blanche. » Et ce n’est point à un nègre, en vérité, que fait songer tout d’abord l’aîné des gorilles, déjà grand ; plutôt à un Bouddha. Il siège sur son divan de paille, il laisse errer sur nous un regard méditatif, chargé