Là-haut, par les soupiraux de sa prison, un pas hésitant et lourd arrivait jusqu’à lui. On eût dit la démarche incertaine d’un aveugle. Des fragmens de ballade se faisaient plus distincts. Rhuys reconnut la voix du barde qui accompagnait Gradlon à la guerre. Comme tous les Celtes, Rhuys croyait entendre dans des chants du barde la voix des aïeux morts. Les sons devenaient plus proches, Gwenc’hlan s’arrêtait devant la prison, pour être entendu de Rhuys peut-être… Cet aveugle souvent paraissait lire dans l’invisible ; ce poète avait, sous ses haines vivaces, des délicatesses de femme.
Gwenc’hlan avait choisi, entre ses poèmes, celui où il chantait les guerriers morts pour la patrie ou pour les dieux. Mais il y avait mis des noms nouveaux, une flamme nouvelle. Il accordait la rote celtique. Il redisait le mot héroïque sorti de la pierre funéraire au jour où l’aïeul de Rhuys pliait, aveuglé par le sang. Il le lançait, par le soupirail étroit, comme un fier défi :
« Rhuys, fils de Lennok, ne recule jamais ! »
Mais plus redoutable pour Rhuys, à cette heure, qu’un jet de sang ou que le froid du fer, Ahès, souriante, s’approchait, les mains tendues…
- Devant toi marchera la douleur au jour de ta mort.
- TALIESIN.
L’avait-il jamais vue aussi belle ? Elle entrait-, portant en elle tous les parfums de la forêt, tous les rayons qui l’enveloppaient sur la grève. Elle avança avec un cri joyeux :
— Rhuys ! Tu ne m’attendais, pas ce soir même ! Rien que demain, n’est-ce pas ? Mais demain était trop loin ! Et puis, je ne sais pourquoi, le roi veut que je reparte tout de suite. Si j’avais attendu, nous passions deux jours encore sans nous revoir. Et j’avais tant de choses à te dire !
Rhuys s’était rejeté dans le coin le plus obscur de la prison. Il faisait si sombre qu’elle ne pouvait distinguer sa pâleur livide. Elle s’inclina jusqu’à son visage. Il eut la force de regarder tout au fond les grands yeux limpides. Il eut la force de sourire.
— Tu ne m’attendais pas ? répéta-t-elle.
— Je n’osais pas t’attendre, dit-il enfin.