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de leur centre de gravité. L’effet de chaque brèche à la flottaison équivaut à celui d’une diminution de largeur du navire, ou bien, au point de vue où nous sommes placés, à une diminution de hauteur du caisson. Si serré que soit le cloisonnement, si parfait que soit le compartimentage, quand le charbon des cellules a été consommé, il suffit de trois brèches, quatre au plus, pour amener le bâtiment à la situation inquiétante du cuirassé à caisson bas, et à cuirasse intacte. Les impulsions extérieures possibles, produites par la houle ou l’action du gouvernail, deviennent capables de faire chavirer. En allant plus loin, comme avaries, on arriverait rapidement à l’état où l’intervention du dehors ne serait plus nécessaire et où le navire tendrait de lui-même vers une position d’équilibre nouvelle, stable cette fois, la quille en l’air. Ces indications suffisent, sans qu’il y ait lieu d’insister, pour faire deviner l’effet des coups perforans sur le cuirassé dont la hauteur du caisson protecteur au-dessus de l’eau est trois fois moindre, et le compartimentage quatre ou cinq fois moins serré, qu’à bord du croiseur à flottaison cellulaire.

Ces vérités élémentaires, tenues pour évidentes aujourd’hui, étaient contestées, il y a quinze ans, non sans acrimonie, par les coupables, que la courtoisie d’une polémique essentiellement impersonnelle n’empêchait pas de se sentir implicitement en cause, et qui se montraient peu enclins à « perdre la face. » Il me fallut donc les établir par un procédé très simple, et cependant irréfutable. Tel fut l’objet des expériences sur modèles décomposables, exécutées à Toulon en 1890 et 1891. La méthode consiste à représenter le navire par un modèle, dont on enlève les parties, qui, sur le navire perforé, cessent de contribuer à la stabilité, et à passer ensuite graphiquement, par des tracés élémentaires, du cas du modèle à celui du navire ; elle n’exige aucun déploiement de connaissances scientifiques, ni pour être appliquée, ni pour être comprise. Depuis lors, on est parvenu à appliquer, aux navires en avarie, les procédés de calcul créés pour les navires intacts, mais l’emploi du modèle offre toujours plus de garanties. Deux séries d’expériences conduites avec une grande célérité permirent de porter un jugement, la première sur les croiseurs récemment mis en service, la seconde sur les cuirassés en projet : elles confirmèrent nettement les conclusions qui pouvaient jusque-là être repoussées comme pessimistes, et fournirent les règles certaines pour assurer aux navires la sécurité indispensable.