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revue des deux mondes.


France s’ébranle pour la sublime campagne d’Iéna, ce Breton vient tromper son inaction en admirant de la gloire sur une petite échelle.


C’est ainsi que je m’attardais sur les traces de mes souvenirs classiques parmi les collines matinales de Sparte. On y trouve des beautés que l’on peut aimer sans souffrir. Le cœur qu’elles emplissent demeure raisonnable. Elles nous laissent notre orgueilleuse indépendance. Ces harmonies de la nature, de l’histoire et de la poésie sont épurées de tous élémens de désespoir. Auprès de ces froides compagnes étincelantes, un passant veut reprendre haleine et se guérir des trop vivantes beautés.

Parfois je poussais jusqu’aux petits bourgs blottis avec leurs vergers et leurs ronces sur les premiers étages du vigoureux Taygète. Parori, Tripy, je ne ferais entendre votre éclat, voilé sous les plus admirables jardins, que si je pouvais transporter ici vos parfums, le bruissement de vos fontaines, le contraste que vous faites avec toute l’aride Grèce, la fièvre que vous rafraîchissez et l’esprit occupé de sublime que chaque voyageur nécessairement vous apporte.

Au hasard de mes promenades, j’ai bien des fois respiré l’odeur de mystère qu’exhalent certains manoirs de nos plus vieilles campagnes de France. Sous les châtaigniers d’Auvergne, je me rappelle des fenêtres closes : derrière la grille rouillée croissaient les chardons et les folles avoines, et, dans le jardin, des touffes de scolopendres embaumaient la margelle du puits. À Neuilly même, chaque jour, je me promène entre les murs prudens et silencieux de Saint-James. Cet énigmatique quartier, sur la pente de la Seine, si mort et si secret, s’associe dans ma mémoire aux jardins de Parori. Mais les maisons de Laconie, sous les citronniers, les parfums, le soleil et la misère, derrière de hautes murailles délitées, abritent des rêves où nous ne sommes point engagés. Si j’assiste au mariage d’une dame du sérail, mon cœur risque moins de souffrir que si je mène une amie de mon enfance dans la demeure d’un jeune époux. Jardins de Parori, de Tripy, beautés éblouissantes, encloses de misères, secrets que j’ai durant quelques jours côtoyés, notre tristesse de ne pouvoir pas pénétrer et emporter votre bonheur s’atténue du pressentiment que c’est un bonheur dont nous ne saurions guère jouir.