Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/17

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
11
un voyage à sparte.

Vers midi, je me reposais sur les margelles de la fontaine de Parori. Au bord de cet heureux bassin qu’ombragent des arbres à fruits, les femmes de Sparte se rassemblaient jadis, quand leurs maris mouraient pour Hélène devant Troie. Sur les mêmes pierres s’assirent leurs petites-filles, esclaves des Turcs, le visage ombragé d’un demi-voile de mousseline transparente. Leurs sensations pacifiées, éventées, s’ajoutent à ce beau lieu pastoral.


XVII. — LE ROCHER DES APOTHÈTES


Je ne me lassais point d’errer, à l’Ouest de la ville, dans les campagnes comprises entre l’Eurotas et la chaîne du Taygète. Des bosquets d’oliviers, de sycomores et de platanes, des mûriers enlacés de vignes laissent pousser dans leur ombre claire de l’orge, des maïs, tous les légumes et toutes les fleurs. À chaque pas murmurent et fraîchissent de petites rigoles, par où la neige, qui blanchit les cimes du Taygète et qui ruisselle impatiente sur tous ses flancs, vient tremper cette terre brûlante. Mais ce paradis est un cimetière. Les cyprès y commémorent le plus illustre des deuils.

Sur cette scène étroite une race extraordinaire a donné sa représentation. Ces vallons, ces torrens et ces ruines, qui sous des flots de jeune lumière offrent les marques de l’ancienne domination, émeuvent, comme des Grecques captives dans le sérail des pachas. Ils disposent une jeune âme à recueillir ces traditions doriennes, graves et vigoureuses, que le nouveau royaume doit s’approprier, s’il veut, comme c’est nécessaire, se purger de ses turqueries.

Si j’étais un riche Grec, je ne fonderais pas d’hôpital, ni de collège dans Athènes ; je doterais la malheureuse Sparte. Je dessinerais sur ces collines des pèlerinages civiques. J’y enverrais les jeunes Albanais venus en Grèce pour être Grecs, et je voudrais qu’ils fissent leur plus longue méditation au seuil de la brèche éclatante de Parori.

On y visite, dans les premiers escarpemens du Taygète, le haut rocher des Apothètes, d’où Sparte précipitait tout enfant incapable de faire un guerrier vigoureux. C’est excellent de décourager les fausses vocations.

Sparte a prétendu diriger la reproduction de ses citoyens. Les