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Buisson, sont deux mouvemens réciproques qui se confondent en une étreinte indissoluble. » Il semble, depuis cinq années, que les mouvemens soient devenus plus lents, et l’étreinte plus lâche. L’instituteur ne se paie plus de mots et de sourires : un journal annonce-t-il à l’enseignement primaire une fournée nouvelle de décorations, le comité d’entente entre les Amicales d’instituteurs de la Seine laisse voir son mépris du cadeau, et déclare que ce qu’il faut, c’est l’amélioration des traitemens, et l’indépendance et la sécurité mieux garanties. Inversement, il n’est pas malaisé de surprendre parfois, sur certaines lèvres radicales, l’expression de quelque mauvaise humeur et même de quelque défiance à l’endroit du personnel primaire. « La République a deux ennemis, disait naguère, en une boutade, le préfet d’un grand département : le moine, d’abord, et puis l’instituteur, car l’instituteur n’est plus républicain, ni radical, ni socialiste, il est anarchiste. » Vingt ans durant, nos hommes politiques, lorsque devant eux on médisait des instituteurs, ébauchaient, tous ensemble, le geste protestataire et scandalisé des dévots qui entendent médire de leur curé ; l’accueil que fit la majorité républicaine de la Chambre, en juin 1904, aux révélations de M. Grosjean sur la crise du patriotisme, témoigne que les susceptibilités sont devenues moins chatouilleuses et que le parti républicain ne veut plus accepter à l’avance et d’une façon systématique la responsabilité de tous les propos et de tous les actes auxquels peuvent s’abandonner, au fond de leurs écoles ou dans la vie publique, certains maîtres aventureux. L’harmonie entre la République et l’instituteur, consacrée naguère par l’onction presque religieuse de M. Ferdinand Buisson, est désormais troublée ; de mois en mois, les fausses notes vont se multipliant.

L’instituteur ne veut pas être toujours, ainsi qu’il dit en son langage, le mulet de l’Université ; en toute occurrence, ce mulet se cabre et se révolte. S’agit-il des cours d’adultes, les menaces de grève qu’adresse à certains inspecteurs d’académie leur personnel d’instituteurs, et le cri de : « A bas les œuvres post-scolaires ! » qui retentit dans les colonnes de certaines revues, déconcertent l’optimisme de M. Edouard Petit, toujours prêt à célébrer, dans ses rapports annuels, le « généreux dévouement » des maîtres de nos écoles. S’agit-il d’élections au conseil départemental de l’enseignement primaire, les circulaires des instituteurs qui posent leur candidature s’allongent en une série de