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est dépréciée : M. Buisson écrivait, en 1903, que « le tiers ou la moitié des postes sont occupés, pour une trentaine d’années, par un personnel qui risque de n’avoir ni l’esprit laïque ni la culture pédagogique ; » et M. Massé déplore à son tour, dans son rapport, qu’on doive avoir recours, pour combler les vides, à des jeunes gens qui ne sont munis que du brevet élémentaire. Le nombre augmente, enfin, des instituteurs à qui leur fonction pèse et répugne : les hommes politiques influens pourraient nous dire combien ils ont apostille de pétitions dans lesquelles des « primaires, » en échange de quelque service électoral, sollicitaient quelque petit poste dans les finances ou dans une autre branche de l’administration. Et c’est sur de telles entrefaites, que la loi de M. Chaumié contraint la République à trouver, bon gré mal gré, pour notre personnel scolaire, un fort contingent de recrues nouvelles : on les prendra où l’on pourra ; au besoin, peut-être, on gardera les congréganistes sécularisés, en les transplantant et en changeant leur habit ; en robe, ils ne coûtaient rien à l’Etat ; en redingote, ils lui coûteront. La loi que M. Buisson, député, s’est flatté de soutenir et de voter aggravera le péril dont s’alarmait M. Buisson pédagogue. Ainsi se perpétueront les sérieuses lacunes qu’en près de vingt-cinq ans l’œuvre scolaire de Jules Ferry fut impuissante à combler ; et les intentions constructrices dont cette œuvre témoignait seront peut-être irrémédiablement compromises par des successeurs dont l’anticléricalisme ne vise qu’à dévaster, et qui semblent croire que, pour éviter une ruine, il n’y a pas de meilleure tactique que de travailler à la ruine d’autrui.


GEORGES GOYAU.