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contre M. Doumer, pour l’empêcher d’être réélu président de la Chambre le 9 janvier. Battu à la présidence de la Chambre, il ne pourrait pas se présenter à la présidence de la République : on serait débarrassé de lui. En conséquence, ils ont proposé de substituer dans le règlement de la Chambre, pour l’élection du bureau, le scrutin public au scrutin secret.

Cela montre, soit dit en passant, la confiance que les chefs du parti ont dans leurs soldats : ils ont besoin de les surveiller, de les regarder sans cesse, de faire peser sur eux un œil inquisiteur et menaçant pour être sûrs qu’ils voteront suivant le mot d’ordre. Le scrutin public est celui de l’intimidation, le scrutin secret celui de la liberté. Impossible d’avouer plus clairement que, laissés à eux-mêmes, beaucoup de radicaux-socialistes sont, hélas ! parfaitement capables de voter pour M. Doumer. Par malheur, la substitution du scrutin public au scrutin secret se heurtait à une tradition constante dans nos assemblées parlementaires, où il est passé en principe que les élections de personnes se font toujours suivant ce dernier mode de scrutin. Nous n’avons pas besoin de dire pourquoi. Dans la haute magistrature qu’il exerce, le président de la Chambre, notamment, ne doit pas être l’homme d’un parti : le secret du vote est la garantie apparente de son impartialité. Mais les radicaux-socialistes ne s’arrêtaient pas à ces considérations, devenues très mesquines à leurs yeux. Lois d’exception, règlemens d’exception, c’est leur éternel procédé. Ils ont donc engagé la bataille ; mais ils l’ont perdue. Ils l’ont perdue à une faible majorité ; mais, en pareil cas, l’importance de la majorité n’est nullement proportionnelle au chiffre de voix qui la composent. Quand deux partis essaient leurs forces l’un contre l’autre, ils ressemblent à ces lutteurs qui, poings contre poings, poitrine contre poitrine, se poussent et s’ébranlent jusqu’à ce que l’un ait renversé l’autre : le vaincu est bien vaincu, même s’il a succombé, à bout de forces, à un faible effort final. Si les radicaux-socialistes avaient battu leurs adversaires d’une seule voix, c’en était fait de M. Doumer. Le résultat du scrutin montre que, dans les conditions actuelles, M. Doumer a une majorité de huit voix au scrutin public : nul ne sait combien il peut en avoir au scrutin secret. Les cris de colère et de désespoir que poussent les radicaux-socialistes prouvent qu’elle serait beaucoup plus considérable. Quoi qu’il en soit, leur échec est décisif, au moins pour la présidence de la Chambre où M. Doumer aura, à la rentrée, une majorité plus forte que jamais. Il la devra à ses ennemis et à l’ingénieuse manœuvre qu’ils ont tentée pour l’abattre.