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Moukden et non par les plaines du Liaho et du Hunho. Une autre série de faits intervint alors, qui le confirmèrent dans son erreur, et nous avons ainsi une fois de plus la preuve que rien à la guerre n’est plus dangereux qu’une idée préconçue du mouvement de l’adversaire. — Voici les faits. Jusqu’alors le général Kouropatkine n’avait eu affaire qu’à trois armées, celles des généraux Kouroki, Nodzou et Okou. La chute de Port-Arthur rendait disponible l’armée du général Nogi. Enfin une cinquième armée, sous le général Kawamoura, avait quitté le Japon vers la fin de janvier. Le secret sur la composition de cette armée, sur ses points de débarquement et ses lignes de marche, avait été bien gardé. Néanmoins les Japonais, avec intention sans doute, avaient laissé les journaux de Tokyo annoncer que le général Kawamoura était destiné à opérer dans la région à l’Est de Moukden. En outre, pour mieux tromper l’état-major russe, la 11e division appartenant à l’armée de Nogi, et commandée par le général Sakaï, était partie le 22 janvier de Port-Arthur, pour rejoindre à l’Est l’armée de Kawamoura. D’autre part le général Kouropatkine pensait que le mouvement tournant du général Gripenberg, sur la gauche japonaise, devait le mettre en contact avec le général Nogi, si l’armée de celui-ci était à l’Ouest. Les avant-gardes russes avaient poussé jusqu’à 23 kilomètres à l’Ouest de Liao-Yang et les troupes rencontrées appartenaient toutes à l’armée du général Okou. Dès lors, le général Kouropatkine, convaincu que l’armée du général Nogi était à l’Est, portait de ce côté le centre de gravité de ses forces.

Voici quel était le plan des Japonais : attaquer de front avec les armées des généraux Kouroki à droite, Nodzou au centre, Okou à, gauche ; menacer à l’Est la gauche russe d’un mouvement enveloppant par Tita sur Tiéling, au moyen de l’armée de Kawamoura, afin d’attirer les réserves russes dans cette direction (ce qui eut lieu) ; puis, l’effet produit, faire soudainement apparaître à l’Ouest l’armée de Nogi jusqu’alors cachée derrière l’armée de Okou, pour envelopper la droite russe et couper le chemin de fer au Nord de Moukden. Ce plan fut exécuté de point en point.

Comment la cavalerie russe a-t-elle « renseigné » si mal ? Ce ne fut que le 7 mars, c’est-à-dire au moment où la bataille était en fait perdue, que le général Kouropatkine put se rendre compte du danger qui menaçait sa droite et sa ligne principale de com-