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et de tranchées, y user l’assaillant, puis, le moment venu, se jeter sur lui à la baïonnette pour écraser ses débris, telle est la tactique qui, depuis le commencement jusqu’à la fin de la guerre, n’a pas cessé d’être en honneur. Deux faits montrent à quel point ces principes faux étaient profondément entrés dans l’esprit des généraux. Le 25 août, le commandant du 10den corps avait résolu de prendre l’offensive le lendemain à six heures du matin. Les Japonais le devancèrent et attaquèrent à cinq heures du matin. Un général rencontrant un attaché militaire étranger lui dit : « C’est bien heureux qu’ils nous aient attaqués avant notre départ, car si nous nous étions rencontrés en marche tous les deux, que serait-il arrivé ? Nous aurions dû nous battre sans positions ! »

Le 2 septembre, l’ordre de retraite est donné. Avant de commencer son mouvement, la réserve est lancée en dehors des ouvrages pour attaquer les Japonais à la baïonnette. Elle perd ainsi 1 800 hommes, tout à fait inutilement, puis rentre dans les tranchées pour les évacuer ensuite dans la nuit.

L’armée russe n’a voulu profiter d’aucun enseignement des dernières guerres. Le culte de la baïonnette est poussé si loin, qu’en toute circonstance elle reste fixée au bout du fusil. Par tous les moyens les chefs essaient de persuader aux soldats qu’ils doivent surtout mettre leur confiance dans la baïonnette. Ils lui répètent les paroles de Souvaroff. « La balle est folle, la baïonnette seule est sage. » Sous le rapport de la conduite du feu, l’hérésie n’était pas moindre ; jusqu’à la fin d’août 1904, les Russes ont exécuté des salves, comme au temps d’Apraxine.

L’utilisation du terrain s’est la plupart du temps bornée à l’occupation des ouvrages et des tranchées. Celles-ci, au lieu d’être étroites et profondes comme les tranchées des Boers, étaient généralement trop larges et insuffisamment creusées. Les Russes n’ont tenu aucun compte de l’expérience de la guerre sud-africaine. Cette guerre avait prouvé que la puissance du fusil à tir rapide est telle, qu’il n’est pas nécessaire de garnir les tranchées avec des hommes coude à coude. Un tireur tous les deux mètres suffit. Au delà de cette proportion, les hommes se gênent, le tir est moins efficace, on expose un personnel plus nombreux à l’action de l’artillerie. L’économie d’effectif alors réalisée permet de garder de plus fortes réserves et de renforcer les ailes qui plus que jamais sont les points faibles. Les Russes, toujours hantés par la crainte de voir leur front forcé, encombraient