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cheurs sur une seule drome… Et le retour, la nuit, sous la lune, dans la rivière du Trieux, les dromes qui se suivaient à la file, avec leurs torches de résine toutes brasillantes de flammèches ! Ah ! ces nuits-là, il y avait bien sûr plus d’étoiles sur la mer que dans le ciel !… Et le commerce marchait en conséquence. On a pris le prétexte de quelques batteries et de quelques noyades pour interdire l’engagement des étrangers. C’est toujours la même histoire et vous savez le proverbe : quand on veut tuer son chien…

Mon hôtesse hausse les épaules en manière de conclusion et, sans attendre ma réplique, retourne vers ses pensionnaires qui sont à peu près étanchés. Une joie rit dans tous les yeux… Mais, au milieu de la nuit, le vent de mer reprit ses hurlemens. Les ardoises du toit crépitaient comme des castagnettes. La brève accalmie de la veille n’était qu’une trêve et, tiré de ma somnolence par ce tapage infernal, je songeais aux malheureux dont les dromes inachevées attendaient sur le Sillon. S’ils allaient perdre encore, comme l’an passé, le fruit de leur labeur exténuant !… Je n’avais que trop raison de craindre. J’appris le lendemain qu’une partie des dromes du Talberg avaient été dispersées par la bourrasque : Groac’h Kribigniou, la méchante sorcière des eaux pleubiannaises, s’était vengée une fois de plus de l’atteinte portée à ses droits.


III

Les étrangers qui visitent le littoral du Bas-Léon n’aperçoivent pas sans étonnement, par les beaux temps clairs de juillet et d’août, de grandes traînées de fumée jaune épandues sur la côte à la manière d’un brouillard. Tout le paysage est comme passé au soufre. Il n’est pourtant fait mention d’aucune solfatare à cet endroit. Et l’on pourrait croire, malgré tout, à un oubli des géographes, si des jets de flamme, çà et là, perçant l’opaque rideau safrané, ne décelaient sur les hauteurs la présence de centaines de foyers incandescens. De vagues ressouvenirs romantiques, des phrases de Chateaubriand et de Marchangy remontent spontanément à la mémoire : on rêve, malgré soi, de qùelque grand holocauste mystcrieux ; on se demande quel encens perpétuel font fumer sur ces promontoires de la mer cimmérienne des Aurinias et des Vellédas insoupçonnées.