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son public, que chacun pourra interpréter à son gré l’œuvre nouvelle, enveloppée, obscure, que vient de représenter le Théâtre-Antoine, le Coup d’aile. Je renonce à en expliquer la fable, qui d’ailleurs ne semble avoir que le plus lointain rapport avec la question philosophique que M. de Curel a eu la singulière idée de porter au théâtre. Le personnage principal, un certain Michel Prinson est un ancien officier d’Afrique dont la carrière a été brisée par un épouvantable scandale. Il a subi le mirage de la vie coloniale ; il a voulu se créer dans la brousse une sorte de royauté indépendante ; il a tiré sur les compagnons d’armes envoyés pour le mettre à la raison ; tout le monde croit qu’il a été massacré par ses propres camarades. Le fait est qu’il a échappé, et mène depuis lors une existence de paria. Toutefois une nostalgie le ramène sans cesse vers les choses militaires, et à la vue de ce drapeau sur lequel il a tiré, il est pris d’une espèce de frémissement.

Qu’est-ce donc pour lui que le drapeau ? Qu’est-ce pour nous ? Et y a-t-il différentes manières d’en interpréter la religion ? C’est ici, croyons-nous, qu’il faut aller chercher la signification de la pièce. M. de Curel oppose à Michel Prinson un brave homme de colonel qui n’est nullement beau parleur et qui se contente de faire, sans tant réfléchir, son métier, en obscur soldat du devoir. Pour celui-ci le drapeau symbolise la patrie ; pour le soldat réfractaire, ce n’était que le symbole de la gloire. Et la gloire est décevante. Et le devoir est simple et ne fait pas de phrases. Il y a dans l’amour de la gloire une sorte d’égoïsme, un désir de paraître qui peut dégénérer en cabotinage. Le patriotisme est fait de dévouement et d’abnégation... Si tel est le sens de l’œuvre de M. de Curel, nous ne saurions qu’y applaudir ; et nous regrettons seulement qu’il se dégage si mal, dans un dialogue si confus, au milieu de complications si énigmatiques et si décevantes.

Ce qui ne contribue pas médiocrement à rendre à peu près intelligible l’œuvre interprétée au Théâtre-Antoine, c’est qu’on perd une bonne partie de ce que disent les acteurs, à commencer par M. Antoine.


RENE DOUMIC.