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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/831

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prévoir, il sera dépossédé demain, ne le dédommagent pas des déceptions et des mécomptes qu’amasse sur sa tête et voit éclater cette année 1800. Considérée à travers tant d’événemens désastreux pour sa cause, elle apparaît comme la plus douloureuse de son exil. La journée de Brumaire a livré la France à Bonaparte, coupé court aux négociations que Louis XVIII croyait nouées entre ses agens et Barras, prouvé que le Premier Consul, en dépit des démarches qu’on multiplie autour de lui, n’entend pas se réduire au rôle de Monk et disperse les royalistes qui, dans Paris, travaillaient au rétablissement de la monarchie. Paul Ier mécontent de ses alliés est sorti de la coalition. Déjà ses regards se tournent avec admiration vers le jeune général qui a maté le monstre révolutionnaire. La froideur, la réserve, des susceptibilités sans objet caractérisent de plus en plus ses rapports avec l’héritier des Bourbons. La Sardaigne et. Naples subissent le joug de la République ; la Prusse et l’Espagne vivent en paix avec elle ; l’Autriche et l’Angleterre, quoique à contre cœur, entrevoient le moment où elles devront suivre cet exemple. Le Pape lui-même abandonne le Roi, se rapproche du vainqueur, consent à négocier avec lui en vue d’un Concordat. A sa voix, et rebelles à celle du Roi, les évêques, pour la plupart, rentrent en France où le clergé de second ordre les a précédés, et envoient à Rome leur démission afin de faciliter l’exécution de l’acte réparateur qui va faire refleurir la vieille religion des ancêtres. Il semble en un mot que les chances de la royauté légitime soient pour longtemps paralysées, sinon pour toujours.

Une lettre écrite le 15 novembre par Louis XVIII à une noble Anglaise, lady Malmesbury, une amie des jours heureux, qui lui avait adressé ses hommages, nous permet de lire dans son âme, d’y voir les sentimens auxquels, après neuf aunées d’un exil tragique, il s’abandonnait :

« Je vous remercie de vouloir que je vous entretienne de ma position. Je pourrais ne vous dire qu’un mot : je suis à cinq cents lieues de ma patrie, et ce mot dirait tout. Mais vous désirez des détails et, pour vous satisfaire, il faut que je distingue deux personnes en moi : l’homme public et l’homme privé.

« Si ce dernier oubliait qu’il a perdu les êtres qu’il chérissait le plus au monde, il pourrait se croire heureux. Le plus généreux des souverains m’a donné un asile ; il m’y comble d’amitiés ; il l’a embelli par l’union de mes enfans, par la