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trop naturelle et qui n’est point encore dissipée, je vous demande à vous-même, mon ami, si mon devoir ne me prescrivait pas de prémunir nos enfans contre le sentiment qui les portait si justement à vouloir partager et adoucir le sort d’un oncle qui leur témoignait la tendresse d’un second père. J’ajouterai à cela que, aimant mes enfans comme je les aime, et sentant le désir, la volonté même de passer ma vie avec eux, mon cœur se révoltait à l’idée de m’en voir séparé par une barrière qui pouvait être insurmontable.

« Quant au secret que j’ai gardé vis-à-vis de vous et que j’avais également recommandé à mes enfans, je voulais, en remplissant un devoir de politique autant que de sentiment, éviter de vous causer une peine inutile si le cas prévu par mes instructions ne se présentait pas. Voyant votre séjour à Varsovie se prolonger, et n’imaginant pas, d’après le silence que vous aviez gardé jusqu’ici avec moi à cet égard, et d’après ce que vous-même avez dit à mon fils pour MM. de Broglie et de Vassé ; n’imaginant pas, dis-je, qu’il fût possible que le roi de Prusse consentît à ce que j’aille à Varsovie, je m’étais occupé d’autres projets, pour voir mes enfans au printemps ou dans l’été. Mes idées n’étaient point fixées sur le lieu de notre réunion, et, quoique je sois intimement convaincu qu’il ne sera pas encore question de nous à Amiens, j’attendais de connaître le résultat du traité qui va se conclure avant d’arrêter nos projets. Aussitôt que mon plan aurait été formé, je vous en aurais fait part en même temps que j’en aurais instruit mes enfans ; et, si vous m’eussiez fait alors une proposition pareille à celle qui est contenue dans votre lettre, ma réponse eût été exactement la même que je la fais aujourd’hui.

« Oui, mon ami, j’accepte avec beaucoup de plaisir que vous fassiez auprès du cabinet de Berlin toutes les démarches nécessaires pour obtenir du roi de Prusse la permission que je puisse traverser ses États et arriver sans obstacles à Varsovie. Si vous réussissez dans cette négociation, et, si, comme cela est très probable dans le moment actuel, je ne suis pas retenu par l’intérêt de votre service, vous pouvez compter d’une part sur mon empressement à arranger tout ce qui pourra hâter mon voyage, et de l’autre sur le bonheur bien vrai et bien vivement senti que j’éprouverai en me retrouvant avec vous, en même temps que je me réunirais avec mes enfans.