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REVUE LITTÉRAIRE

LITTÉRATURE DE CONFIDENCES

Lorsqu’il choisissait pour titre à ses Mémoires : Vérité et Poésie Gœthe exprimait déjà cette impossibilité où se trouve l’écrivain d’être son propre biographe. Combien de causes se réunissent en effet pour que le récit de sa vie, tel qu’il le retrace à distance, soit non seulement incomplet mais inexact ! Nous oublions beaucoup ; et c’est fort heureux, puisque la vie même, sans ce bienfaisant privilège, aurait si tôt fait de nous devenir insupportable. Et quel que soit notre désir de sincérité, nous ne résistons guère à la tentation d’arranger légèrement les choses, en les racontant, et de les tourner à notre avantage. Mais les lacunes de notre mémoire ou les séductions de notre vanité ne sont encore ici que les moindres sources d’erreur. Il en est une autre, plus profonde, plus abondante et dont il nous est infiniment plus difficile de nous préserver. La mémoire en effet n’est pas l’unique gardienne de nos impressions de jadis ; toutes nos autres facultés, l’imagination, les passions, les rancunes, les déceptions influent sur elle : c’est avec tout l’être qu’on se souvient. Sous l’action complexe de toutes les forces de notre nature, la réalité se déforme : une illusion s’y substitue dont nous sommes les premières dupes. C’est un travail dont on rendrait assez bien compte en disant que le passé continue de vivre en nous, et que, comme tout ce qui vit, il se modifie. De là vient la surprise que nous éprouvons si souvent, quand il nous est donné de confronter avec quelque impitoyable document l’image de la réalité que nous retrouvons en nous. Or, c’est un trait commun à tous les écrivains romantiques, — depuis leur aïeul, Jean-Jacques Rousseau,