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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/558

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abandonnées. Les gens ont tant d’autres cimetières qui leur tiennent plus au cœur ! On se promènerait du matin au soir à travers les morts. Lorsque j’y étais, on achevait d’embellir la route tracée, pour les obsèques nationales, jusqu’au sépulcre du vieux prince Shimadzu, le dernier défunt de la famille. Cinquante lanternes s’y alignaient dont chacune portait en noir le nom de son donateur. Et, de cette colline splendidement ombragée, je parcourais une plaine qui n’était qu’une houle de tombes.

Une génération de soldats a grandi depuis que ces événemens se passèrent. Les traces des bombardemens subsistent encore. Mais on a rebâti les quartiers saccagés, et les rues des samuraï sont habitées aujourd’hui par des avocats, des médecins, des professeurs, des fonctionnaires. Les Ecoles Privées de Saïgo ont disparu. En revanche, les écoles du gouvernement et d’autres écoles se sont multipliées : on n’en compte pas moins de six cent quatre-vingts dans la province. Et, comme la vie n’est pas chère à Kagoshima, les étudians y affluent.

Du temps que j’habitais Kyoto, je découvrais chaque jour un nouveau temple ; lorsque j’étais à Osakâ, on m’offrait chaque matin de me mener à une nouvelle usine. Ici, je ne sors des cimetières que pour entrer dans des écoles. J’ai assisté aux jeux athlétiques des Ecoles Secondaires Supérieures et à la distribution des diplômes de l’Ecole d’Agriculture. J’ai vu, à l’Ecole Commerciale, des jeunes gens qui se vendaient leurs denrées fictives, cargaisons de coton, chargemens de camphre, montagnes de sucre. Ils signaient des traites, payaient des échéances, faisaient tour à tour faillite et fortune dans les règles. J’ai traversé des cabinets de physique et d’histoire naturelle entièrement neufs, mais déjà préservés des curiosités indiscrètes par une vénérable couche de poussière. On m’a développé les programmes d’enseignement : depuis la plus haute antiquité chinoise jusqu’au règne d’Edouard VII, toutes les inventions et conceptions de l’esprit humain y sont représentées. La femme elle-même participe à cette prodigalité de science. Instituteurs et institutrices suivent les mêmes cours à l’Ecole Normale. L’Ecole Industrielle compte cinq cents jeunes filles de la noblesse et du peuple qui, pour une trentaine de francs par an, apprennent