Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/653

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un et rigide, est étendu à terre sur le drap noir à croix rouge du cercueil, au milieu des ossemens et des crânes. Dans le ciel, Dieu le père, l’épée à la main, montre sa tête formidable. L’heure du jugement est venue. Il n’est plus temps de prier maintenant. Pourtant, pendant que l’ange et le démon se disputent son âme, le pauvre mort espère encore, et une supplication écrite sur une banderole s’envole de sa main vers le ciel.

A peu près à la même époque un des enlumineurs du duc de Berry peignait aussi une redoutable figure de la mort[1]C’est un cadavre desséché, une momie noire drapée dans un linceul blanc. Elle brandit un trait et va frapper un élégant jeune homme qui n’attendait guère la terrible visiteuse. On pense, malgré soi, à la funèbre vision que le duc d’Orléans eut peu de jours avant d’être assassiné.

Rien, dans l’art antérieur, ne fait pressentir ces effrayantes images.

Dès les premières années du XVe siècle, il semble que la mort devienne la grande inspiratrice. En 1424, la danse macabre est peinte, à Paris, au cimetière des Innocens. Des œuvres analogues apparaissent, au cours du XVe siècle, sur tous les points de l’Europe. La vieille légende « des trois morts et des trois vifs » entre dans l’art, et devient un des sujets favoris de la peinture murale et de la miniature.

Au XVe siècle, l’image de la mort est partout. Plusieurs de ces œuvres funèbres subsistent encore, mais beaucoup aussi ont disparu. Des documens, d’anciens dessins nous font connaître d’étranges tableaux. On a conservé longtemps dans une église d’Avignon un tableau du XVe siècle qui représentait le cadavre décomposé d’une femme près d’un cercueil ouvert où l’araignée tissait sa toile. Le roi René avait fait peindre à Angers, au-dessus de son tombeau, un roi couronné assis sur son trône. Mais, en s’approchant, on reconnaissait que ce roi était un squelette qui vous regardait avec ses yeux vides. Formidable oraison, funèbre, qu’aucun sermonnaire n’égala. L’aimable Bourdichon, lui-même, si épris de la grâce, dut sacrifier au goût du temps Il avait peint, dit un document, « un cadavre, dévoré par les vers, dans un cimetière, où y a plusieurs sépultures. »

Le XVIe siècle renchérit encore sur le XVe. Ce siècle qu’on se

  1. Bibl. nat., manuscrit français 1023, f° 74.