quand elle enlève un prince avant qu’il ne règne. Ce spectacle affligeant est donné au monde pour montrer aux hommes éblouis combien les princes, qui sont si grands en apparence, sont petits en réalité. » Déjà cependant il ne peut s’empêcher, dans cette même lettre, de glisser quelques conseils. « Il est temps de se faire aimer, craindre, estimer. Il faut de plus en plus tâcher de plaire au Roi, de s’insinuer, de lui faire sentir un attachement sans bornes, de le soulager par des assiduités et des complaisances convenables. Il faut devenir le conseil de Sa Majesté, le père des peuples, la consolation des affligés, la ressource des pauvres, l’appui de la nation, le défenseur de l’Église, l’ennemi de toute nouveauté. Il faut écarter les flatteurs, s’en défier, distinguer le mérite, le chercher, le prévenir, apprendre à le mettre en œuvre, écouter tout, ne croire rien sans preuve et se rendre supérieur à tous, puisqu’on se trouve au-dessus de tous. »
Quant à ses sentimens personnels, et aux espérances qui pouvaient naître en lui, Fénelon ne s’en ouvre à personne, et il est impossible d’y trouver une allusion dans sa correspondance de cette époque. Savait-il bien lui-même ce qu’il éprouvait et ce qu’il désirait ? On peut se le demander quand on voit comment il se jugeait et avec quelle finesse il analyse les sentimens qui se combattaient dans son cœur. « Je hais le monde et je le méprise, écrivait-il à la duchesse de Mortemart peu de mois après la mort de Monseigneur, et il me flatte néanmoins un peu. Je sens la vieillesse qui avance insensiblement et je m’accoutume à elle sans me détacher de la vie. Je ne trouve en moi rien de réel, ni pour l’intérieur, ni pour l’extérieur. Quand je m’examine, je crois rêver : je me vois comme une image dans un songe… Il me semble que je n’ai nulle envie de tâter du monde ; je sens comme une barrière entre lui et moi qui m’éloigne de le désirer et qui feroit, ce me semble, que j’en serois embarrassé s’il me falloit un jour le revoir[1]. »
Si Fénelon n’était pas bien sûr de ses sentimens, Saint-Simon affirme les connaître, mais c’est qu’il le juge d’après lui-même et qu’il lui prête les siens : « Celui de tous à qui cet événement devint le plus sensible, fut Fénelon archevêque de Cambrai. Quelle préparation ! Quelle approche d’un triomphe sûr et
- ↑ Œuvres complètes de Fénelon. Édition de Saint-Sulpice, t. VII, p. 349.