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de l’Italie. Il s’éteint quand Florence cesse d’être une ville libre. Car, comme Athènes, c’est la liberté qui a fait Florence, cette ville tant aimée de ses enfans que les bannis voulaient y rentrer coûte que coûte, au péril de leur vie, pour revoir ses petites places, monter les marches de l’église San Giovanni, où ils avaient été baptisés... Comme H. Grimm sait parler de Florence ! Comme il se sent son enfant d’adoption ! Comme il en connaît chaque rue, chaque palais, chaque chapelle ! Savait-il, alors, qu’il y laisserait, vingt-cinq ans plus tard, la compagne de sa vie ? Il y a un passage, au début de son livre, sur la vue de Florence des hauteurs de Fiesole, que l’auteur du Lys Rouge, eût peut-être seul pu récrire. Et tous ceux qui ont eu la bonne fortune de rencontrer une fois H. Grimm sur les grands chemins d’Italie, à Rome ou à Florence, n’oublieront jamais la sûreté, la maîtrise un peu hautaine, presque la majesté avec laquelle ce grand seigneur de la critique ouvrait devant vous les trésors de sa ‘science et vous expliquait l’Italie comme un prince qui fait les honneurs de son palais.

Après Florence, c’est Rome qu’il nous présente, lors de l’arrivée de Michel-Ange, à vingt-deux ans, la Rome des Borgia, celle du pape Alexandre, le père de Lucrèce et de César. Il faut écouter comme il parle de cette « ville des villes. »


Quand le monde fut créé, avec ses arbres, ses fleuves, ses mers, ses montagnes, ses animaux, et l’homme enfin, il dut naître aussi une ville de la terre là où est Rome. D’autres villes on peut penser qu’il y eut autrefois, sur leur emplacement, une clairière, une prairie, un marais ; que des hommes sont venus, qu’ils se sont bâti une hutte, puis une autre... Pour Rome c’est impossible... On peut rêver qu’une trombe anéantisse Berlin, Vienne, Paris ; mais à Rome il semble que les pierres elles-mêmes se remettraient de nouveau les unes sur les autres en palais, en temples, en tours et en coupoles... Je ne suis pas catholique, et ne ressens aucun respect romantique pour le Pape ou l’Église, mais celui qui a ressenti à Rome l’impression toute-puissante de l’éternelle patrie, ne l’oubliera jamais.


En ce temps-là, sous les Borgia, les cardinaux étaient déjeunes grands seigneurs, ardens, fougueux, emportés, qui, pour une réclamation, sautaient à cheval et se ruaient, suivis de leurs gens, au Vatican. César tuait des taureaux, courait la ville la nuit, et chaque matin on trouvait dans la rue quelque cadavre de noble ou d’évêque... Ces temps sombres passent. Florence, elle aussi, se reprend à la vie et à l’art, après le règne éphémère et le bûcher