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de Savonarole. Et voici, à l’entrée de cet hiver 1504-1505, réunis à Rome pour un temps : Léonard, Raphaël, Michel-Ange ; et nous les abordons avec H, Grimm, comme si nous causions avec eux aujourd’hui, tant est grand le talent du biographe, sûre sa vision de l’histoire, et abondante sa science.

Léonard a près de cinquante-cinq ans, maintenant. Grand seigneur de l’art, comblé de tous les dons des fées à son berceau, et de la fortune sur sa route. Raphaël a vingt-deux ans. Adolescent de génie, il sera, toute sa courte existence, le jouet de la vie et des femmes. Michel-Ange a trente ans à peine. Il est devenu grand artiste par la mâle volonté du travail, et de l’idéal à réaliser. Dur à la besogne, renfermé, sauvage, il travaille en tête à tête avec son génie. Et voici qu’il rencontre son pape, comme Wagner, plus tard, son roi. C’est la grande époque de Jules II, où Michel-Ange s’enferme dans la Sixtine, seul sur l’échafaudage qu’il a dressé de ses mains, tandis que, quelques pas plus loin, Raphaël souriant, jeune et beau, entouré d’admirateurs et d’artistes, peint les « chambres. » Quel contraste entre ces deux hommes, et entre leur travail ! Raphaël est de la race de ces artistes qui créent comme la nature, sans efforts, et parce qu’ils vivent. Il peint comme l’eau coule, et comme l’oiseau chante, ce Raphaël, Gœthe, Shakspeare, ont à peine une histoire, un sort extérieur... Ils vivaient la vie, ils travaillaient, ils allaient leur chemin... Schiller voulait influencer dans tel ou tel sens, et marquer son empreinte sur son peuple ; Michel-Ange voulait agir, et chasser de son chemin les faibles qui l’encombraient... On ne peut arracher sa vie de la réalité saignante du monde, tandis que la vie de Raphaël pourrait se raconter à part, comme une idylle. » Mais Michel-Ange, lui, tient à son temps agité et brutal par toutes les fibres de son être, et H. Grimm l’a admirablement posé, au milieu de son époque et de son peuple.

Car, « comme les anciens maîtres grecs, Michel-Ange travaillait, commue membre d’un peuple beau et fort, à sa glorification. » Son époque ce sont ces temps de la Rome de Léon X et de Jules II, où l’énergie humaine trouvait à s’employer librement dans toutes les directions. « Il n’y eut jamais une époque, comme la Rome de Léon X, où il fut facile à chaque personnalité puissante d’atteindre aux plus hautes positions... Raphaël était peintre, mais il pouvait être cardinal... Il y avait une circulation vivante de toutes les forces humaines... Chaque pas pouvait être franchi. » La