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vie brutale, le débordement de violence et d’énergie physique de ces temps de troubles et de guerres incessantes, avait, d’ailleurs, ses rudes revanches au milieu de ces fêtes de l’art. L’occupation de Rome par les troupes impériales de Charles-Quint, en 1527 ; la ville éternelle livrée au pillage des soldats espagnols et des reîtres allemands ; la chapelle Sixtine servant d’écurie aux chevaux, et les parchemins précieux de fourrage, — voilà qui crie assez haut la rudesse des temps. De 90 000 âmes, sous Léon X, quand Clément VII, le Médicis, y rentra un an après l’occupation, (Rome ne comptait plus que 30 000 âmes. Les deux tiers avaient disparu, enfuis ou morts de misère ! Et Michel-Ange, citoyen de Florence, quand les Médicis sont chassés pour un temps par l’insurrection populaire, fait son devoir de soldat tout comme un autre, et ingénieur, comme il fut peintre, architecte et sculpteur, prend part à la défense de sa ville natale, et fait élever des fortifications dont s’étonnait encore Vauban.

La liberté vaincue à Florence, Michel-Ange avait songé à s’expatrier, et était allé à Venise. C’est l’occasion, pour son biographe, de nous peindre, en une fresque magistrale, Venise, son histoire et sa gloire ; et, pour le lecteur, de voir comment un grand critique s’empare d’une matière morte, la fait revivre sous un coup de sa baguette magique, et nous la présente, nous la fait saisir et comprendre tout entière d’un seul coup d’œil, dans une évocation qui est une seconde naissance. Il suffit à H. Grimm d’une phrase ou deux, quelques traits, — et nous voici devant un tableau ; quelques touches, — et tout s’éclaire, nous comprenons tout : Venise et son histoire, « histoire qui paraît une gageure fantastique, comme si l’Angleterre d’aujourd’hui ne se composait que de ses colonies, et comme centre, comme métropole suzeraine, Londres, mais Londres sans l’Angleterre, seule sur un îlot au milieu de l’Océan… La mer et le pont de leurs navires, voilà la patrie des Vénitiens. » Patrie qui est un paradis, où la chère et l’amour sont exquis. Le poète qu’est d’Annunzio n’a pas trouvé dans ses romans des accens plus séducteurs que n’en a le critique allemand. À propos d’une lettre de l’Arétin, ce polisson si spirituel, qui compare avec un rare bonheur Venise et Rome, H. Grimm, reprenant la comparaison, l’a étendue à l’art du Titien, rapproché de celui de Raphaël et de Michel-Ange, et a écrit sur Venise, « la galère royale ancrée au milieu de la mer, » et sur la peinture vénitienne, quelques pages à mettre à côté des plus belles :