Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 33.djvu/163

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais, à propos de cette grandeur de Gœtte, que personne ne songe à nier, il faut bien avouer que, dès le début de son livre, H. Grimm adopte un parti pris d’admiration qui n’est plus de la critique, et qui diminue, pour une grande part, la portée de son œuvre. Il n’est plus un critique ; il est un commentateur, le commentateur d’un texte qu’il tient, par avance, pour sacré. Non pas, certes, qu’il admire tout ici, comme Hugo devant Shakspeare, a comme une brute, » non ; mais il approuve, et il fait siennes, toutes les pensées directrices de l’œuvre et de l’homme qu’il étudie. Il applique à Gœthe, d’une façon absolue, le mot de Pascal transformé, et il dirait avec certitude : « dans ce grand homme tout est grand. » Mais il s’en faut, justement, du mot même de Pascal : « dans une grande âme, » et il resterait de pouvoir affirmer que, grand par son génie, Gœthe fut vraiment une grande âme.

Nous touchons, ici, au fond même des choses, au lui primitif sur lequel est fondée cette statue du grand homme. Un fin critique de Gœthe, M. Edouard Rod, l’a indiqué ici même[1], tout au long de l’œuvre, et marquant à chaque pas les réserves nécessaires, a comme accumulé les déchets du génie. Quand H. Grimm, au début de son livre, rappelle les trois grands noms qui ont eu cette influence souveraine et ont agi, telle une force cosmique, sur leur race : Homère, Dante, Shakspeare, on sent bien que, pour lui, Gœthe est le quatrième ; et que c’est bien volontairement qu’à ces quatre noms il ne joint pas un nom français. Il choisit — de bien mauvais jeu ! — Voltaire, pour sembler en faire la preuve. Mais il oublie trop volontairement, ou par trop naïvement, cette vérité élémentaire : à savoir que le génie ne choisit pas son heure pour entrer dans l’histoire. Assurément, comme il le dit, a Homère (l’Homère idéal, dirons-nous) et Dante, ont créé cette unité morale, supérieure à toute unité politique, de la Grèce et de l’Italie, » et je veux bien, qu’un jour, tous les peuples de langue anglaise « se sentiront un seul peuple devant la scène où l’on jouera les drames de Shakspeare. » Mais le génie, pour être la plus belle plante humaine, qui porte les plus beaux fruits, et la plus féconde, est une plante comme une autre. Elle croît et porte ses fruits où Dieu l’a fait naître. S’ils ont été, ces grands entre les grands, les

  1. Voyez la Revue des 1er juillet, 1er août, 1er et 15 septembre 1895 ; 15 septembre 1896 ; 1er mai et 1er septembre 1897.