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la restitution de ces sommes, parvint à prouver qu’elles avaient bien été expédiées au profit de la reine régente : le détail d’ailleurs de la remise de cet argent, raconté par le banquier lui-même au procès de la maréchale d’Ancre, ne laisse aucun doute sur la question. La coïncidence de la date de ces placements à l’étranger, — les premiers mois de 1617, — avec la recrudescence de la campagne violente menée contre la régente en général et les Concini en particulier, peut-être des avis confidentiels communiqués sur le coup d’État qui se préparait et des appréhensions soudaines sinon pour sa vie, au moins pour sa liberté, suffisent à expliquer cette détermination.

Elle fut réalisée avec une certaine précipitation. Un matin, le 13 janvier 1617, Marie de Médicis manda au Louvre le banquier Jean André Lumagne, gros homme de cinquante ans, originaire des environs de Raguse, anobli en 1603, fabriquant, marchand, trafiqueur d’argent dans toute l’Europe, et qui était parvenu, associé à d’autres banquiers, Sainctot, Mascaragni, à être l’agent obligé de toute opération financière internationale. La reine lui expliqua qu’elle avait résolu de mettre de l’argent en sûreté hors du royaume, qu’elle allait lui délivrer une première partie de cet argent et qu’elle lui demandait de le faire passer soit au delà des Alpes pour le placer sur les monts-de-piété italiens, soit en Allemagne ou aux Pays-Bas, Cologne, Francfort, Anvers, afin de le faire fructifier dans les conditions les meilleures. Elle appela ses femmes de chambre et, en sa présence, celles-ci tirèrent des coffres de la souveraine deux cent mille livres en pistoles, qui furent soigneusement comptées et remises contre reçu au banquier. La régente insista qu’il ne s’agissait pas de deniers appartenant à l’État, mais de ses deniers propres ; elle ajouta qu’elle pensait envoyer à Rome même 600 000 livres et désirait que l’argent expédié dans cette ville fût remis entre les mains d’un gentilhomme romain, Ferdinand Ruccellaï, avec qui elle s’était entendue pour le placement, de manière à ce qu’il rapportât « du denier vingt. » Les autres sommes que M. Lumagne toucherait incessamment seraient délivrées au banquier par diverses personnes telles que les fermiers des cinq grosses fermes ou le trésorier du douaire, M. Feydeau. M. Lumagne prit les 200 000 livres et les adressa immédiatement à Lyon, à son associé Paul Mascaragni, lequel les transmit au delà des Alpes à ses agens. Trois semaines après, le 9 février, 180 000 livres étaient de nouveau expédiées ; le 22 février, 100 000