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d’Auguste Comte. Pareillement, — et encore que quelques-uns n’y aient pas mis jadis beaucoup d’empressement, — on trouvera tout naturel que des évêques et des cardinaux professent l’infaillibilité du Siège de saint Pierre, mais, parce qu’on le trouvera moins naturel, on le trouvera plus probant de la part d’un évêque anglican ou d’un pasteur luthérien, c’est-à-dire de gens dont les ancêtres ne se sont séparés du centre catholique que pour se soustraire à la suprématie pontificale. Et on aura raison ! et les objections qu’on élèvera contre cette manière « d’utiliser » l’adversaire ne prouveront qu’une chose, qui sera que, de nos jours, comme au temps de Joseph de Maistre, on redoute l’efficacité du moyen.

Le grand défaut du livre Du Pape, c’est d’être « décousu, » mal fait ou mal composé, laborieux, difficile à lire pour cette raison même, et du reste tout à fait conforme ou analogue en ce point au tempérament littéraire de son auteur. Ai-je besoin de rappeler ici que de très grands livres sont fort mal composés, et, au premier rang d’entre eux, — je ne pense pas que la comparaison soit de nature à offenser la mémoire de Joseph de Maistre, — le Génie du Christianisme, ou encore l’Esprit des Lois ? C’est qu’aussi bien, selon le mot de La Bruyère, « c’est un métier de faire un livre, comme de faire une pendule ; » et ce métier si Chateaubriand a fini par s’en rendre maître, Joseph de Maistre, lui, n’en a jamais connu le premier mot. Et, à ce propos, que l’on n’invoque pas les Soirées de Saint-Pétersbourg ou les Considérations sur la France ! Ni l’un ni l’autre ouvrage ne prouve rien dans la question. Les Soirées de Saint-Pétersbourg sont des « dialogues, » où, comme dans ceux de Platon, les digressions, voire les négligences, ne sont qu’un agrément ou un charme de plus, pour ne pas dire la loi même ou la condition du genre ; et quant aux Considérations, je ne voudrais pas d’autre mot que ce mot lui-même pour caractériser la nature du génie de Joseph de Maistre. Les « considérations, » voilà son domaine, et, à cet égard, on pourrait signaler plus d’une ressemblance entre lui et Montesquieu. C’est avec intention que je ramène ici ce grand nom de Montesquieu. Si Joseph de Maistre, — et je ne le regrette pas pour lui, — n’a rien écrit qui ressemble aux Lettres Persanes, il a débuté, comme Montesquieu, par des Paradoxes d’une préciosité singulière ; son talent, comme celui de Montesquieu, est, si je l’ose dire, un talent à considérations ; et tous deux, enfin, la critique la plus sévère que l’on en pourrait faire, ce serait de les analyser. Mais ce serait aussi la plus injuste et la plus déloyale. Il faut les lire et les relire, ne point s’attacher à l’ordre dans lequel ils ont essayé d’exposer leurs idées, les dégager de ce que le souci du style, qui les hante l’un et l’autre, mêle souvent à ces idées