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philosophe, philosophe religieux, et attendre sans trouble et sans amertume[1]. »

La guerre que, de tous les côtés, on faisait à l’Empire libéral, privé d’un de ses soutiens auprès de l’Empereur, devint même si acharnée qu’on pût à ce moment la croire victorieuse. Cela contribua au discrédit et à l’affaiblissement croissant de l’Empire dans les classes moyennes où beaucoup ne lui restaient encore attachés que dans l’attente de sa transformation en monarchie constitutionnelle. « C’est fini, » dit-on alors de toutes parts, en Europe comme en France. Le prince Antoine de Hohenzollern écrivait à son fils : « Je voudrais pouvoir déjà parler de ton mariage ; on ne peut songer à une d’Orléans qu’après la chute des Napoléonides, un événement qui n’est, du reste, pas bien loin (30 août 1868). » Berryer annonçait la fin inévitable et prochaine[2], Prévost-Paradol appliquait âprement au gouvernement l’image de Thiers sur Napoléon abandonné à Fontainebleau : « C’est un chêne puissant qui perd sa verdure à l’entrée de l’hiver et dont les feuilles se détachent l’une après l’autre. » Cassagnac, sans se douter que l’antipathie inspirée par son parti de violence était une des causes principales de cette désaffection, la constatait : « A l’heure qu’il est, il faut être bien fou ou bien convaincu pour oser défendre ce qui est, l’Empereur et Dieu. Cherchez donc les jeunes gens ambitieux qui se lancent dans la voie conservatrice, et nommez les noms ! Vous n’en trouverez pas. L’opposition prend tout, ramasse tout, réunit tout. » Un de mes amis dans ce temps-là cherchait un cocher. Il s’en propose un qui appartenait aux Tuileries. « Mais il me semble, lui dit-on, que cette place est bien meilleure que celle que vous aurez chez moi. — C’est que, voyez-vous, Monsieur, la maison n’est plus solide. »


VI

Il y a eu, depuis la Révolution française, une succession d’hommes à l’égard desquels on éprouve un sentiment tout à fait contradictoire. S’arrête-t-on à leurs doctrines, aux écrits ou aux actes par lesquels ils les propagent, on les réprouve ; ne considère-t-on

  1. 29 septembre 1868.
  2. Berryer à Georges Sinclair, 6 juillet 1868.