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va sur ses brisées. Pour lui les grandes déesses sont des blanchisseuses, les dieux aux cent bras des cordonniers ou des vachers. Je m’éloigne laissant le malin de village pérorer dans son cercle de métis. Ses plates parodies finiraient par ternir l’éclat des fêtes de Çiva, dieu de la Force et de la Mort.

Je joins enfin le taureau d’argent. Il va servir de monture au dieu lui-même dont on célèbre la gloire depuis cinq jours et cinq nuits. Chacune d’elles, Çiva aux trois yeux est promené sur un animal différent. Hier ce fut le taureau d’or, avant-hier l’éléphant, ainsi des autres. La bête puissante se dresse sur son socle. Le bois sculpté dont elle est faite disparaît sous un épais revêtement d’argent façonné au marteau, depuis les cornes tournées en cylindres, jusqu’aux sabots soigneusement imités. Un tigre d’or dressé sert de tenon, sous le ventre. Ce taureau, beaucoup plus grand que nature, a coûté fort cher. Son habillement d’argent, refait assez récemment, et offert à la pagode par le fameux Calvé Souprayachetty, vaut à lui seul cinq mille roupies, soit huit mille francs. Le travail en est beau. Les reliefs des muscles sont théoriquement traités en ornemens, en gouttelettes, en larmes, en tores, comme dans les animaux assyriens. D’ailleurs, toutes ces bêtes sacrées sont établies sur des types primitifs et qui ne varient point. Les canons antiques sont toujours scrupuleusement observés. A droite du taureau est un paon en bois sculpté et peint, de teintes vives et tranchées, rutilant, irisé, superbe. Celui-là ne vaut pas le fameux paon d’or fin qui servit de trône au Grand Mogol Shah-Jahan et dont la queue éployée formant dossier, était constellée d’émeraudes, de diamans et de saphirs ; il ne vaut pas non plus le paon d’orfèvrerie que les Anglais prirent à Hyder-Ali, le père de Tippou-Saïb, l’usurpateur pillard dont le nom est encore en abomination parmi les Hindous du sud. Quand mon ami Soupou me parle d’Hyder-Ali, on dirait que la peur le tient de voir le tyran du Maïssour apparaître dans son hôtel pour s’emparer de ses meubles.

A gauche du taureau de Çiva, c’est une perruche gigantesque, pareillement peinte et sculptée, mais d’un travail assez médiocre. Je la loue cependant par égards pour l’administrateur de la pagode qui nous donne des renseignemens sur la fête. C’est un Hindou de caste vellaja qui parle bien le français. Mais ses discours sont confus et il donne aux divinités leurs noms tamouls que j’ai un peu oubliés. Je propose quelques noms du Nord, alors le Vellaja,