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les dépouiller. » Ce n’était pas aussi sans quelque blessure d’amour-propre que, de la part de Vergennes, — bien qu’il se défendit « d’avoir envie de se mêler des affaires des États-Unis, malgré eux, » — les Américains avaient cru entrevoir une tendance à accentuer une sorte de supériorité protectrice, traduite par la médaille que le gouvernement royal avait fait frapper en l’honneur de leur indépendance conquise, et au revers de laquelle un jeune enfant, menacé par le léopard britannique, est défendu par le glaive de Minerve, sous les traits de la France, qui le couvre de son bouclier fleurdelisé, avec cet exergue : Non sine diis animosus infans.

En dépit de ces nuages passagers, le sentiment de sympathie et de reconnaissance, qui unissait les deux pays, était, de chaque côté de l’Atlantique, demeuré fort vif. La Révolution de 1789, dans laquelle les citoyens de la libre Amérique s’étaient plu à saluer une révolution sœur de la leur, avait provoqué, à Boston, à New-York, à Philadelphie, dans toutes les villes de l’Union, des transports d’enthousiasme, et Washington avait vu avec joie Lafayette et plusieurs des meilleurs amis des États-Unis prendre en France, à la tête du parti constitutionnel, une situation prépondérante. Aussi lorsque, en juillet 1791, un successeur dut être donné au comte de Moustier qui, lui-même, en 1787, avait remplacé à Philadelphie La Luzerne, si longtemps ministre de France, Lafayette eut-il une grande influence dans la nomination de Ternant, ancien officier devenu diplomate, qui avait combattu avec lui dans la guerre de l’Indépendance et que le gouvernement des États-Unis accueillit avec une vive sympathie. Toutefois, si dans sa première entrevue avec le nouveau représentant de la France « marquée au coin de la plus flatteuse intimité, » Washington lui rappela leur ancienne amitié, la conversation finit sans avoir touché en rien aux questions politiques. Le lendemain, quand Ternant présenta ses lettres de créance, le président, tout en ne laissant échapper aucune occasion de lui redire « tout le plaisir qu’il avait à le voir ministre du Roi près les États-Unis, » se borna « à causer comme à la première visite de diverses choses étrangères aux affaires. » Ternant ne put non plus s’empêcher de remarquer que, malgré toutes ses avances, le secrétaire d’État Jefferson ne montrait pas plus d’empressement que le président lui-même à s’expliquer sur les relations des deux pays.

Quels étaient les motifs de ce silence ? Assez vite le ministre