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« que la grande extension du commerce anglais dans l’Amérique libre, le nombre prodigieux de ses facteurs et des émissaires de Georges III, tous les moyens de corruption que leur donnaient leur situation et leurs connaissances locales, rendraient ces expéditions d’autant plus fréquentes qu’il serait facile de tromper la surveillance du gouvernement américain par des armemens masqués ? » Comme conclusion de ces instructions plus faciles à rédiger qu’à exécuter, le ministre de France était invité à empêcher dans les ports des États-Unis « tout armement en course, si ce n’est pour le compte de la nation française et l’admission d’aucune prise autre que celles qui auraient été faites par les bâtimens de la République. »

Cette première partie de la mission de Genet était très ardue ; du moins pouvait-il, pour la remplir, invoquer les traités antérieurs. La seconde, qui tendait à faire prévaloir des vues toutes nouvelles, était plus délicate encore. Il lui était enjoint d’obtenir, per fas et nefas, du gouvernement des États-Unis une active participation à la guerre que la République française avait à soutenir contre la coalition européenne, et cela d’une part, pour s’emparer du Canada dont on laissait entrevoir que « la belle étoile pourrait peut-être se réunir à la constellation américaine, » de l’autre pour opérer la conquête des colonies espagnoles de la Louisiane, des Florides, du Kentucky. A Paris, il semblait inadmissible que les Américains pussent refuser leur concours à l’exécution d’un aussi engageant programme. N’étaient-ils pas, autant que la France elle-même, intéressés à faire échouer a les desseins liberticides de Georges III, » afin de ne pas retomber, tôt ou tard, « sous la verge de fer de l’Angleterre ? » Le Conseil exécutif ne doutait point que l’excellence de ces raisonnemens, jointe aux grands avantages commerciaux attachés à notre alliance, n’entraînât l’adhésion du Congrès. Cette confiance, hautement exprimée, était-elle cependant aussi complète qu’on voulait le laisser croire ? Dans un supplément d’instructions remis à Genet, le conseil exécutif ne cachait pas que, par suite de la crise traversée par l’Europe, une négociation de ce genre était exposée à beaucoup de retards et de difficultés, « soit par les manœuvres secrètes du ministre et des partisans de l’Angleterre à Philadelphie, soit par la timidité de plusieurs des chefs de la République américaine qui, malgré leur patriotisme, avaient toujours montré une réelle aversion pour toutes les mesures susceptibles de déplaire à la Grande-Bretagne. »