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des États-Unis était proclamée, mais mon voyage dans les États du sud a fait avorter ces desseins ; j’ai eu le temps de rallier nos amis, de préparer de loin ma réception et de ne me présenter à mon poste qu’avec la certitude d’y être porté par le peuple. Tout a réussi au delà de mes espérances ; les vrais républicains triomphent, et le vieux Washington, qui diffère beaucoup de celui dont l’histoire a gravé le nom, ne me pardonne point mes succès et l’empressement avec lequel toute la ville s’est précipitée chez moi, au moment où une poignée de marchands anglais allaient le remercier de sa proclamation. Il entrave ma marche de mille manières et me force à presser secrètement la convocation du Congrès, dont la majorité, conduite par les premières têtes de l’Union américaine, sera décidément en notre faveur. En attendant, j’approvisionne les Antilles, j’excite les Canadiens à s’affranchir du joug de l’Angleterre, j’arme les Kentukois, et je prépare par mer une expédition qui secondera leur descente dans la Nouvelle-Orléans. Noailles et Talon sont ici ; ils ont remis avant mon arrivée, au président des États-Unis, des lettres du prétendu Régent (le Comte de Provence) que ce vieillard a eu la faiblesse d’ouvrir ; mais depuis que le peuple m’a reconnu, ils n’osent plus se montrer ; s’ils en valaient la peine, je les ferais chasser... »

Un peu auparavant et sans paraître se douter que lui-même rendait ainsi hommage à l’impeccable correction de Washington, Genet écrivait : « ... L’ami, le conseiller de Lafayette n’a répondu à mes ouvertures franches et loyales que par un langage diplomatique dont il n’est rien résulté qui m’ait paru digne d’être transmis. Il ne m’a parlé que du désir que les États-Unis avaient, selon lui, de vivre en paix et en bonne harmonie avec toutes les puissances et particulièrement avec la France, et il a évité de toucher tout ce qui pouvait avoir rapport soit à la Révolution, soit à la guerre que nous soutenons seuls contre les ennemis de la liberté des peuples. »

Dans cette significative attitude de Washington, Genet ne vit qu’un nouveau motif d’accentuer encore son hostilité contre ceux qui avaient l’audace de ne point goûter sa méthode révolutionnaire. Les considérant comme des ennemis déclarés, à commencer par le président, il s’entoure des républicains les plus militans et n’hésite pas à s’adresser directement aux gouvernemens locaux, aux tribunaux particuliers des Etats, aux jurys populaires, aux sociétés démocratiques, aux gazettes antifédéralistes, à tous les