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chacun peut prendre ce qu’il lui faut de superficie pour planter quelques palmiers. La propriété n’est pas l’eau non plus, car l’eau s’étend sous les sables en nappe relativement large, à la portée de tous ceux qui ont la persévérance d’enlever 8 ou 10 mètres de sable pour se rapprocher d’elle et pour planter des arbres. La seule chose qui soit en vérité susceptible d’appropriation privée et durable est l’arbre, et plus exactement, le palmier-dattier ; chacun possède ce qu’il plante, et la propriété de l’arbre entraîne avec elle ipso facto la jouissance de la terre et la jouissance de l’eau ; inversement celui qui n’a pas de palmier ne possède pas de terre ; il n’aura à sa disposition terre et eau que si, voulant lui-même planter des arbres, il creuse et déblaie l’espace d’un jardin. En d’autres termes, dans le Souf, l’eau et la terre appartiennent à tous, ou si l’on veut n’appartiennent à personne ; les conditions géographiques sont assez extraordinaires pour que l’arbre soit, à lui seul, la cause initiale, la limite et la fin de toute appropriation individuelle.

Il existe donc bien une « géographie sociale » et une « géographie historique ; » mais ces chapitres derniers de la géographie humaine n’existent pas en dehors des six faits définis : maisons et villes, routes, champs et jardins, animaux domestiques ; carrières et mines, faits de déprédation végétale ou animale. Ils en dépendent d’une manière étroite et directe. Et commencer toute étude par un examen de ces faits fournit en toute vérité un principe de méthode pratique dont il conviendrait de ne jamais se départir. Cette subordination absolue de toutes les autres considérations à l’observation et à l’analyse préalables de quelques faits visibles, et pour ainsi dire palpables, est une garantie salutaire contre les divagations « extragéographiques, » et permet de contrôler sans cesse quelles sont les vraies bornes de la géographie humaine.


Enfin, c’est un lien psychologique, toujours variable, qui fixe, à titre temporaire et toujours révocable, les rapports de connexion soit entre les phénomènes de géographie physique et les faits de géographie humaine matérielle, soit entre ces faits-ci et les faits de géographie sociale, politique, militaire et administrative. La géographie humaine matérielle, tout à la fois issue et suivie de faits psychologiques, constitue donc un domaine géographique spécial qui est soumis à un déterminisme beaucoup moins