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la vie et de la société modernes, qu’elle n’est pas nécessairement liée à l’ancienne routine, qu’elle a le sens de l’amélioration et du progrès. Une véritable classe moyenne musulmane, distincte de l’ancienne aristocratie féodale, est en train de se former graduellement, sans doute, et lentement, mais en se renforçant chaque année.

C’est là un phénomène politique et social de la plus haute importance. On peut être assuré que, vers le milieu de ce siècle, l’effectif de cette classe moyenne indigène aura quintuplé, sinon décuplé, et que, par la pénétration de ses idées et de ses exemples dans les cadres inférieurs, la masse musulmane tout entière, du moins dans le Tell et autour des centres européens, aura subi d’assez grandes modifications, non seulement au point de vue de sa situation économique, mais même à celui de sa mentalité.

Doit-on en conclure, comme le fait M. Ismaël Hamet, qu’un travail d’assimilation sûr, sinon rapide, s’effectue entre l’élément indigène musulman et l’élément européen ? Notre auteur croit à l’absorption de ce dernier élément par le premier, à l’apparition d’une « race d’indigènes qui, à des degrés variables, seront plus ressemblans aux Européens que ne l’étaient leurs ancêtres et, en tout cas, français par mentalité. » S’il demandait des séries de siècles pour l’accomplissement de cette évolution, on pourrait peut-être soit souscrire à cette idée, soit tout au moins l’admettre comme une éventualité.

Il paraît, au contraire, excessif de supposer que, dans un temps qui ne soit pas excessivement éloigné, au cours du siècle actuel par exemple, une évolution de ce genre puisse s’accomplir. M. Ismaël Hamet parle des naturalisations et des mariages mixtes qui s’effectueraient dans cette nouvelle classe moyenne musulmane. Ces mariages mixtes, d’après les statistiques algériennes, d’ailleurs assez défectueuses, ne porteraient que sur quelques unités, pas même une dizaine, par année. Les naturalisations de musulmans algériens sont elles-mêmes très peu nombreuses : on n’en compte, en 1904, que 40, dont 15 de militaires. En fait, il ne se fait aucun mélange appréciable de sang entre les musulmans et les Européens.

M. Ismaël Hamet, pour amener une fusion que rien n’annonce jusqu’ici entre les deux élémens, paraît compter sur les progrès du scepticisme, l’élimination, qu’il pense assez rapide,