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pas été insurmontables toutefois si le principal obstacle n’était venu de la personne même du prince. Éclairé, loyal, d’un ferme et droit jugement, c’était avant tout un artiste. Surveillé et gardé de très près par sa bonne, grosse et jalouse épouse, il s’était, après son veuvage, répandu de tous les côtés, jusqu’à ce qu’il eût été fixé par une charmante actrice, Élise Heusler, qu’il fit comtesse d’Edla. Le trône l’aurait obligé à renoncer aux joies paisibles de cet amour et aux libertés de son existence artistique. Il n’en voulut pas entendre parler.

Le candidat de tout le monde écarté, si on voulait se maintenir dans le système monarchique et ne pas tomber forcément en république ou en anarchie, il ne restait qu’à placer sur le trône, avec une régence, le fils de la reine expulsée, Alphonse. La force des choses a imposé ce dénouement qui, adopté dès lors, eût épargné à l’Espagne, à la France et au monde bien des calamités. Beaucoup le comprenaient ; personne n’eut le courage de le dire ; et Olozaga, aveuglé par sa vieille haine, ne vit pas cette fois ce qui était pratique et nécessaire. Unionistes et progressistes firent de même. La discorde recommença, chacun retourna à ses sympathies ou à ses antipathies ; on se tira d’affaire, après comme avant la Révolution, en s’en remettant au jugement du peuple, et provisoirement l’on resta royalistes sans roi.


VII

Comment le peuple serait-il amené à exprimer son opinion ? La seule forme vraiment démocratique, loyale et prompte, d’avoir son avis, eût été de l’interroger directement par voie de plébiscite, de lui demander s’il voulait une république ou une monarchie, et, s’il préférait une monarchie, à quel prince il la confierait. Le gouvernement provisoire préféra adopter la routine française d’une de ces assemblées constituantes qui n’expriment presque jamais la pensée d’un peuple, comme on l’a vu en 1848[1]. La nomination d’une assemblée constituante, élue au suffrage universel par tous les Espagnols âgés de vingt-cinq ans, fut donc décrétée (8 nov. 1868). Cette loi électorale était une usurpation évidente, car un

  1. Voir Emile Ollivier, La Révolution, p. 318.