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celle des habous ou biens de mainmorte ayant une affectation religieuse ou humanitaire : la djemmaïa ou conseil musulman qui en a la garde continue de fonctionner. On a seulement autorisé à céder la jouissance, moyennant une rente foncière perpétuelle, dite enzel, et irrachetable, des biens habous, ce qui en a permis l’occupation et l’exploitation par les Européens. Il est question d’adjoindre à la djemmaïa des habous un contrôleur français. Nous croyons qu’il faut être infiniment circonspect dans ces modifications et éviter scrupuleusement tout ce qui pourrait froisser ou alarmer les indigènes. Nous jugeons en particulier qu’il est impossible d’admettre la demande de certains colons qui voudraient rendre rachetables les enzels ou rentes perpétuelles des habous, — ce qui exposerait ces fondations à toutes les chances de variation et d’amoindrissement de revenu des capitaux mobiliers.

Une question se pose aussi à propos d’une autre catégorie de habous dite les habous privés, qui, eux, n’ont point un but charitable ou religieux, mais constituent, en général, des sortes de biens familiaux, grevés de substitution au profit des descendans d’un auteur commun. Il est souvent question d’en modifier le régime, de manière à rendre ces biens transférables aux Européens. L’opinion arabe s’en inquiète, non sans quelque raison : elle redoute une sorte de dépossession des propriétaires indigènes. Nous avons sous les yeux une brochure récente, provenant d’un indigène, licencié en droit, M. Abdeljelil Zaouche, qui combat ce projet[1]. Nous regarderions une modification radicale des habous privés, aussi bien que des habous publics, comme une mesure malencontreuse et impolitique, source de rancunes et d’animosité chez nos protégés. Il faut respecter la société indigène : tout ce qui tend à la dissoudre ou à l’émietter est un mal.

On s’est ému, en Tunisie, le mois dernier, d’un passage du discours prononcé, il y a quelques semaines, en présence du résident général et de toutes les autorités et notabilités françaises et indigènes, par le président de la djemmaïa des Habous. Si Béchir Sfar, à l’ouverture solennelle de la Tekia, hospice indigène reconstruit avec les fonds propres de cette administration musulmane : « La décadence du commerce et de l’industrie indigène, disait le

  1. Abdeljelil Zaouche : En Tunisie, la Propriété indigène et la Colonisation, Tunis, imprimerie rapide, 1906.