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marcher avec d’infinies précautions pour ne pas écraser les dieux, les génies, les déesses, les mariés, les petites vaches, les chevaux, les éléphans et les édicules à arcades ajourées ; tout cela gît sur le carreau. Parmi les sébilles pleines de peinture à la colle, les pinceaux, les ébauchoirs, les pots de vernis, les enfans du patron courent, tout nus. On croirait que quelques-unes des images en terre cuite ont pris subitement le souffle de la vie. Des femmes s’enfuient, dans des claquemens de porte, avec des bruissemens d’anneaux, des rires étouffés.

Quel plaisir de fuir là le brûlant soleil du dehors, de se reposer à l’ombre, en regardant ces braves gens travailler. Poussant à l’excès les principes de la division du travail, ils se partagent la besogne, de la façon la plus singulière. En voici un, petit, borgne, qui modèle seulement des bras et des mains. Il les fait de toutes sortes, étendus, repliés, arrondis, la main ouverte, levée, fermée, nus ou chargés de bracelets, d’anneaux à pendeloques. Ce grand, sec, adossé à un pilier, façonne des petites têtes fichées au bout d’un mandrin. Il crée des chefs d’hommes, de femmes, d’enfans, de dieux, des muffles de bêtes. Il tient en ce moment une tête d’éléphant. Celle-là servira indifféremment au monstre à quatre pieds ou au dieu Ganéça qui, comme chacun sait, possède une tête d’éléphant et eut une de ses défenses brisée en combattant, [victorieusement, c’est certain, le géant Guedjamangasourin. Tel autre pétrit seulement des torses, tel autre des jambes. Et un autre assemble toutes les parties. Une fois finie, la pièce est cuite au four, puis peinte à la détrempe, et enfin on la vernit. C’est par là seulement que les potiers font œuvre de mouchys.

Ceux-ci, en effet, n’exécutent leurs statuettes qu’en bois et en pâte. Jadis tous ces petits commerces étaient extrêmement florissans. Non contens d’inonder l’Inde entière de leurs produits justement réputés et supérieurs aux poupées du Bengale, habillées d’étoffes, les artistes pondichéryens avaient une clientèle européenne assez étendue. Leur négoce allait jusqu’aux îles Mascareignes, où l’on estimait beaucoup tous ces mignons bibelots. Les capitaines au long-cours se chargeaient du transport. Aujourd’hui, ainsi que je vous l’ai expliqué, tout cela est mort. — Cependant C. Apoupalar ne chôme pas, à en juger par la profusion d’objets qui garnissent toutes les chambres du rez-de-chaussée. On y respire une atmosphère de résines, de baumes, d’essences, dont la