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Symmaque, aujourd’hui, nous paraîtrait riche, puisqu’il possédait trois palais à Rome, quinze villas hors de Rome, et puisque, à l’occasion de la préture de son fils, il pouvait dépenser en jeux près de deux millions ; sa fortune, pourtant, était réputée moyenne : en regard des Valerii, Symmaque était un pauvre[1]. Que le père et la mère de Mélanie fussent de puissans propriétaires, nous le supposions déjà, grâce au curieux passage de saint Paulin de Note sur l’éblouissant cortège avec lequel ils allèrent recevoir Mélanie l’Ancienne lorsque, prenant un instant congé de sa retraite de Jérusalem, elle s’en fut passer quelque temps en Italie ; mais nos imaginations sont étrangement dépassées, en même temps qu’excitées, par les données précises que nous apporte Gerontius.

Une villa du Cælius était, depuis l’incendie de Rome par Néron, la demeure des Valerii ; elle s’élevait sur l’emplacement du couvent actuel de Saint-Erasme, et les fouilles essayées dans ces parages, au cours des derniers siècles, nous permettent de comprendre mieux les brèves indications des textes. Dans un moindre espace, les villas du patriciat romain reproduisaient volontiers les innombrables fantaisies d’ordonnance auxquelles s’était abandonnée, dans sa villa de Tivoli, l’épicurienne esthétique de l’empereur Hadrien. L’eau vive des fontaines, jaillissant près des chambres d’habitation, les éclaboussait de ses fraîches gouttelettes ; de luxuriantes mosaïques, pavant les cours ou s’encadrant dans les interstices des portiques, soulignaient, par la bigarrure un peu crue de leurs cubes de couleurs, la blancheur mate des murailles ; on avait le théâtre à domicile, l’hippodrome à domicile ; dans un fond de jardin, un cirque s’évasait ; à l’extrémité d’une colonnade, un mur scénique se dressait. C’était un monde en raccourci, que la villa d’un riche Romain ; elle se suffisait à elle-même, le fortuné possesseur y trouvait tout ce qu’il fallait pour ses besoins et tout ce qu’il fallait pour ses caprices ; une même familia servile comprenait des boulangers et des tailleurs, des femmes de peine et des femmes de plaisir, des cuisiniers et des copistes, des caméristes et des ballerines. Dans le palais de Mélanie, tout n’était que marbre : lorsque ces merveilles seront mises en vente, la richesse de l’architecture, de la décoration, du mobilier, découragera les acquéreurs.

  1. Voir G. Boissier, la Fin du paganisme, tome II, p. 210 et suivantes.