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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/145

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de sa cour, plus ou moins cousin de Girolamo, et frère du châtelain de Ravaldino, Giacomo Feo.

Amour violent qui veut être apaisé, mais qui doit compter avec tous les scrupules, et qui ne peut s’apaiser que dans le mariage ; mariage difficile, et qui heurterait tant de préjugés : déplorable et tragique amour. En Catherine, le cœur et la conscience se livrent un affreux combat : les poètes n’en ont pas chanté de pire : sans ce mariage, elle perd Giacomo ; mais par ce mariage, s’il est su, elle perd l’Etat. Qui l’emportera des deux, de sa déraison ou de sa raison, de la plus haute des raisons qui puissent guider une princesse, de la plus profonde des déraisons qui puissent entraîner une femme ? Elle tombe, elle épouse. C’est encore, comme Girolamo, un médiocre, et même moins ; c’est un bellâtre, vain et jouisseur, qui s’affiche, et qui, en s’affichant, l’affiche, et qui, en s’exaltant sans mesure, l’humilie. Elle l’adore, le hait, le méprise, se méprise un peu soi-même de ne pas le haïr davantage, et se hait d’être obligée, à cause de lui, de se mépriser devant ses fils, qui devinent, qu’on instruit, et vis-à-vis desquels il s’oublie parfois jusqu’à lever la main sur eux. Elle est aux aguets, soupçonneuse, l’oreille tendue à tous les bruits, prête à renfoncer dans la gorge des médisans les mots même qui n’en sortent pas. Mais comment empêcher de bavarder une petite ville ? Giacomo ne garde aucune retenue ; il parade et ordonne en maître : la comtesse ne voit, ne parle, n’agit plus que par lui. « Ils supporteront toute extermination, écrit Bello da Castrocaro, et Madame ensevelira plutôt toutes leurs personnes, et ses enfans, et ses biens, ils donneront plutôt l’âme au diable et l’Etat au Turc que de s’abandonner jamais l’un l’autre. » Le commissaire florentin à Faenza, Puccio Pucci, ajoute, dans une lettre à Pierre de Médicis : « Les choses en sont à tel point que d’ici peu on devra nécessairement en venir à une catastrophe. Il faut qu’à toute force il arrive un de ces trois faits : ou que Catherine fasse assassiner son amant, ou que l’amant fasse assassiner Catherine avec tous ses fils, ou qu’Ottaviano, qui montre des esprits hardis, devenu adulte, fasse mourir sa mère avec son amant de mauvais augure. — Si donc messer Jacopo (Giacomo Feo) a de la cervelle, comme on dit qu’il en a, il faut qu’il pourvoie à sa sauvegarde, et qu’il n’attende pas qu’Ottaviano se fasse homme. » Machiavel n’eût pas mieux construit cette espèce de syllogisme. Mais Giacomo Feo eut moins de cervelle qu’on ne